On ne sait jamais exactement quand les gens basculent d’un côté ou de l’autre de la vie, c’est une somme de petits riens qui vous entraînent, calamités imperceptibles, désastres indistincts. Mais elle, je crois bien que c’est le Japon qui l’a rendue folle. « Elle, c’est l’une des figures de Tokyo, une de celles qui se rencontrent dans les mille lieux plus ou moins souterrains de la ville, lors d’un parcours ivre entre aube et crépuscule, à mi-chemin de la fuite et de la promenade.
Où l’on découvre Tokyo au détour de ses bars, dans l’ombre floue des bouteilles de saké, en gravissant un à un les quatre échelons de la nuit tokyoïte, spiralée et clandestine.
Le narrateur, professeur de littérature, double de l’auteur qui vit depuis dix ans à Tokyo, où il exerce cette même profession, contemple, élucide, sonde les entrailles de la ville, promène son regard à la fois étrange et étranger sur les toits des gratte-ciel, dans la fureur des néons et des panneaux publicitaires, tentant d’approcher une culture au mystère sans cesse renouvelé, obéissante et insoumise, traditionnelle et anticonformiste, farouche et généreuse, dans les souterrains où poussent les asperges et les champignons comestibles, dans les temples secrets de la calligraphie où, lui, l’occidental, ne sera jamais admis qu’à demi. Et les portraits qu’il en dresse font l’alchimie fine de l’instant, de l’être et du lieu.
Parsemé de courtes études, poétiques et enlevées, de kanjis dont les noms à eux seuls (la rencontre, le saké, la femme, le silence) donnent la tonalité du récit, ce texte bref est un hommage à la magie, au mystère, mais aussi l’invitation à une réalité très brute, affolante au sens propre. Sans conclusion ni morale, son goût d’inachevé est peut-être l’un de ses plus grands atouts.
Tokyo, petits portraits de l’aube
de Michael Ferrier
Gallimard, » L’Infini ", 105 pages, 10,50 €
Domaine français Insomnie nipponne
janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59
| par
Camille Decisier
Un livre
Insomnie nipponne
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°59
, janvier 2005.