Ce roman de Valérie Zenatti décline le thème d’une amitié impossible. Ce motif n’est certes pas nouveau dans la littérature jeunesse. Mais ce qui l’emporte ici c’est l’interrogation d’ordre intime sur une jeunesse volée, sabotée, rattrapée malgré elle par des considérations géopolitiques déstructurantes. Le lecteur sait dès le début que les jeux sont faits mais on veut bien croire à un miracle, qui aura lieu dans une certaine mesure. C’est sur ce fil ténu, ce pari un peu « fou » qu’avance le texte de Valérie Zenatti, une cyber correspondance entre un Palestinien de Gaza et une Israélienne de Jérusalem âgés respectivement de vingt ans. Une structure narrative épistolaire où alternent aussi quelques rares chapitres de monologues intérieurs des deux personnages et qui tient le lecteur en haleine d’un bout à l’autre du roman. Une valse des mots, au rythme de leur vie bousculée au gré des Intifadas, des attentats, des violences quasi quotidiennes et terrorisantes, vécus comme des fatalités, les rendant impuissants à être les acteurs de leur propre vie, dans leur propre pays. Les nombreuses expressions du silence dévoilent la béance du vide, lorsque « les mots n’ont plus aucun sens », où les longs moments de mutisme sont pesants et remarquables jusqu’à l’oppression palpable qui envahit les personnages. Cette méfiance des mots, les dangers qu’ils pourraient générer sont finement traduits par l’hésitation du jeune homme à accepter une correspondance régulière avec Tal Levine. Sa peur d’être découvert et accusé de « pactiser avec l’ennemi » est renforcée par sa culture du secret et son ironie. « Je suis à peine en équilibre sur un fil et je bascule ». Le jeune Palestinien avance masqué, utilise un pseudonyme ridicule (Gazaman) et répond évasivement aux questions de sa correspondante. Un brin de paranoïa, une tendance au vertige entretenus par leur histoire immédiate, lorsque par exemple les accords d’Oslo sont réduits à néant suite à l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un « Juif israélien ». Des événements ressentis par Tal et Gazaman comme un effacement pur et simple de tout espoir d’un avenir pacifique possible entre Israël et la Palestine. « C’est la fin du monde. Le début de l’Apocalypse. »
Ne reste pour les deux personnages que l’idée d’un rêve lointain d’une vie normale. Une idée presque impossible à caresser et la difficulté de plus en plus grande de communiquer ensemble alors que naît entre eux une amitié amoureuse qu’ils se garderont bien de s’avouer l’un à l’autre.
« La paix passe par les fous » est-il écrit en titre d’un chapitre. Une bouteille dans la mer de Gaza est peut-être une folie douce de l’auteur qui sonne juste. La résonance autobiographique de ce texte (l’auteur a vécu en Israël), mêlée d’un classicisme qui transcende sa propre matière (l’expérience intime), incarne le roman et le rend universel. Un roman possible, non seulement grâce à cette porosité entre le réel et la fiction, mais aussi par sa virtualité paradoxale. L’immatérialité de cette correspondance par mails « rêvée » par Valérie Zenatti entretient la distance nécessaire pour ne pas provoquer les passions et s’expose en terrain de réflexion, en interrogation d’ordre intime sur l’impossible paix en Israël. Une bouteille dans la mer de Gaza est comme un fragment de la vie de l’auteur qui réussit à répondre à une nécessité d’émancipation que le lecteur s’approprie. Là où « TOUT EST INTERDIT », où la mort est omniprésente jusqu’à l’effroi, ce livre est une ressource exemplaire qui aspire à célébrer la vie.
Une bouteille dans
la mer de Gaza
Valérie Zenatti
L’école des loisirs,
« Médium »
167 pages, 9,50 €
Jeunesse À bout de souffle
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Malika Person
Une bouteille dans la mer de Gaza de Valérie Zenatti dit la défaite des mots face au désenchantement d’une jeunesse frustrée.
Un livre
À bout de souffle
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°60
, février 2005.