Les Prairies ordinaires est un clin d’œil à Georges Perec (L’Infraordinaire). En guise de compagnonnage, Rémy Toulouse, son jeune fondateur, cite aussi le plasticien Robert Filliou. « Chacun nous apprend que c’est dans la vie quotidienne que les choses doivent se réinventer. Quittons le spectaculaire. » Rejoignons donc la réalité. Les deux premiers livres publiés par Les Prairies ordinaires, Quel bruit ferons-nous ? d’Arlette Farge et Faire mouvement d’Éric Hazan, se ressemblent : le même souci de clarté (il s’agit d’entretiens), le même désir de faire entendre des paroles dissonantes et « spéculatives ».
La collection « Contrepoints » dit bien l’esprit de la nouvelle maison. « Trouver des formes d’édition obliques, incisives pour comprendre le monde contemporain, en croisant les sciences humaines, la politique et l’art », explique Rémy Toulouse. C’est-à-dire : mettre en lumière une autre manière de penser le présent, face aux discours de la domination. Dans leur parcours et leurs pratiques professionnelles, Arlette Farge et Éric Hazan sont tous deux « atypiques ». À partir de ses travaux sur les classes populaires (particulièrement les archives de police au XVIIIe siècle), l’historienne donne à réfléchir les mutations, différemment. Elle milite pour que « les affects et les émotions soient objets d’histoire », que la marge renseigne la norme, que l’histoire devienne aussi chambre d’écriture, en se nourrissant de tous les arts. C’est avec la même exigence de liberté et d’égalité que se lisent les entretiens avec Éric Hazan. « La tâche du moment est de démonter les bobards, de dévoiler la vraie nature des fausses réformes et de la démocratie bidon », et son levier « la langue du capitalo-parlementarisme », explique l’écrivain, également directeur des éditions La Fabrique. La collusion entre médias et intellectuels, la logique sécuritaire, l’amalgame libéral/libertés, la question palestinienne, la concentration dans l’édition : c’est toujours à partir du terrain, de l’occupation des sols, que se construit la réflexion d’Éric Hazan. Les cibles sont nombreuses, le dessous des cartes peu réjouissant. Sous couvert de métaphore insurrectionnelle, Faire mouvement en appelle à l’invention, à de nouvelles « formes de vie ».
« L’idée des entretiens, c’est de confronter leurs travaux à des questions d’actualités. Trouver des interstices, opérer des décentrements », poursuit Rémy Toulouse. « Il y a également une volonté forte de transmission. » Par exemple, Arlette Farge répond aux questions du compositeur Jean-Christophe Marti. « Elle ne souhaitait pas échanger avec un historien, que ça reste confiné à des questions disciplinaires. » Après Farge et Hazan, l’éditeur prépare des livres avec Véronique Nahoum-Grappe, Henri Meschonnic, Marie Depussé, le juge anti-terroriste Gilbert Thiel. Il espère aussi convaincre Claude Lefort, « un grand penseur de philosophie politique malheureusement peu connu. Ça serait intéressant de l’interroger sur la...
Éditeur L’essence de l’ordinaire
Avec des livres d’entretiens d’Arlette Farge et d’Éric Hazan, Les Prairies ordinaires inaugure un catalogue pluridisciplinaire dont l’ambition est de questionner notre époque, confronter les savoirs.