Avec La Marche au canon, courte narration écrite dans les années 40, et Je suis un monstre, plus ample fiction publiée une première fois en 1952, les éditions Joëlle Losfeld inaugurent la publication d’œuvres rares ou inédites de Jean Meckert. Il n’est pas sûr qu’il faille ici parler de chefs-d’œuvre, ou encore d’immense auteur méconnu : car ces deux livres ont sans doute des imperfections, car ils semblent parfois un peu datés, comme pris dans l’écheveau des influences livresques et des mouvements littéraires du temps. Il y a là tout l’arrière-fond romanesque des années quarante : un peu de roman prolétarien (par la verdeur de la langue et la volonté de choquer le bourgeois), un peu de roman existentialiste (les narrateurs retournent dans tous les sens la question de l’engagement, ils éprouvent des nausées diverses), un peu de roman noir (les coups sont soudainement donnés, ils sont dépeints sobrement) ; et puis on peut penser à divers auteurs : le pessimisme de Meckert fut parfois rapproché de celui de Georges Hyvernaud, ses monologues intérieurs font sans nul doute songer à ceux de Céline. Mais c’est justement cette hétérogénéité, et la manière dont elle produit au final un composé singulier, qui fait tout le sel de ces œuvres.
La vie de Meckert apparaît elle-même comme une bigarrure d’événements contrastés et souvent violents. Son père anarchiste déserte en 1917 ; sa mère sera par la suite internée au Vésinet. Il est tôt livré à lui-même, à l’orphelinat, puis au travail ouvrier dans divers ateliers, employé de banque licencié après la grande crise de 29, etc. Mobilisé en 39, il est interné en Suisse suite à la débâcle ; libéré, il retrouve un emploi à la mairie du XXe arrondissement. Il y a là le papier sur lequel taper un premier roman : Les Coups, que défend notamment Raymond Queneau, est publié par Gallimard. Meckert donnera par la suite presque dix livres à la prestigieuse collection « Blanche ». Mais en 1950 sa carrière prend un tour imprévu : Georges Duhamel lui propose de rentrer dans La Série Noire. Notre auteur, second français à être publié dans cette collection, change alors de nom : Amila, c’est davantage dans le ton des polars et c’est aussi l’abréviation d’ami l’anar. S’ensuivront une vingtaine d’ouvrages et de nombreux succès, comme par exemple Sans attendre Godot (1956), adapté au cinéma par Yves Allegret (Meckert fait aussi, à cette époque, dans le scénario et les dialogues)… Une vie d’écrivain « normale », peut-être, mais en 1974 le drame refait surface : après avoir effectué un séjour à Tahiti, Meckert dénonce dans La Vierge et le taureau la présence et les essais nucléaires français. L’ouvrage est retiré des librairies, et surtout Meckert est sauvagement agressé : coma, épilepsie, amnésie. Il attribuera cette agression aux services secrets, sans que la lumière soit jamais faite. Et se remettra à écrire, jusqu’à ses quatre-vingt-cinq printemps.
Meckert dresse un tableau fort impressionnant de la...
Événement & Grand Fonds Les romans du serf
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Gilles Magniont
Les œuvres de Jean Meckert refont surface. C’est l’occasion de goûter aux richesses d’une écriture tout à la fois datée et intacte, nourrie aux épreuves du siècle dernier.
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