Dans les années 70, Harry Matthews a semble-t-il dépensé beaucoup d’énergie pour détromper son monde : non, il n’était pas employé par la CIA, comme s’obstinaient à le croire jusqu’à ses proches amis juste un membre américain de l’Oulipo, vivotant le plus clair de son temps à Paris. Et puis, lassé de se débattre en pure perte, il finit par s’adapter à la rumeur. Ma vie dans la CIA narre ainsi comment, en 1973 (Watergate ! Vietnam ! Pinochet !), il entreprit de « jouer à l’espion ». Un jeu qui aurait pris une ampleur conséquente : le voilà livrant de prétendus secrets, roulé dans un tapis, fuyant diverses vendettas… Bien sûr, on ne saura jamais à quel point Matthews fabule (encore) ici, puisqu’il prend soin de mêler détails véridiques et références littéraires, croisant par exemple, en compagnie de Perec, le dénommé Roger Holeindre (désormais au bureau exécutif du Front National), lequel porte un « chapeau orné d’une tresse à la place du ruban » à l’instar du jeune homme des Exercices de style. La frontière entre le réel et la fiction est donc « implacablement » brouillée, comme le dit la quatrième de couverture, mais on s’en fout un peu : la narration est mollement picaresque, où s’agitent des figures moyennement surprenantes (Sollers ambitieux, les communistes obtus, les femmes mystérieuses). Et puis, à force de descriptions palpitantes « En haut du téléphérique de Villard se trouvait une auberge agréable, La Cote 2000. Je m’y arrêtai pour déjeuner de jambon de montagne accompagné d’une salade endives-betteraves et d’un savoie blanc bien âpre », ce genre de choses, l’œil finit par tracer des diagonales.
Gilles Magniont
Ma vie dans la CIA
Harry Matthews
Traduit de l’américain par l’auteur
P.O.L, 314 pages, 19,90 €
Domaine étranger Espion aux endives
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Gilles Magniont
Un livre
Espion aux endives
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.