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Domaine étranger Un singe en été

mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63 | par Dominique Aussenac

Un deuxième roman redoutablement contrasté prouve le talent de conteur de Daniel Wallace, auteur de « Big Fish ». D’Alabama, il décrit comment naissent les morts.

Le Roi de la pastèque

Pour rencontrer le roi de la pastèque, il faut aller au fond de l’Alabama, dans la petite ville d’Ashland, la même que dans Big Fish, le premier roman de Daniel Wallace, filmé par Tim Burton. Le titre originel fait référence au Watermelon King : les watermelon-men (ou watermelon-heads) désignent dans les états de l’Union le plouc, le crétin, généralement du Sud. Un de ces crétins qui apparaît dans le film Delivrance de John Borman. Un de ces crétins qui devient le bras armé d’un pasteur rigoriste dans Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller ou viole l’héroïne de Dogville de Lars Von Triers. La littérature et le cinéma utilisent souvent le watermelon-man pour stigmatiser le fait que les États-Unis ont été bâtis dans la violence et le sang, légitimés par des religieux aussi hypocrites, coincés que vils et fervents. Des zones de non-droit existent encore dans les coins les plus reculés et ce sont généralement des anti-héros, des êtres amoindris (sexe, couleur, idées, handicap…) venus de nulle part qui dénoncent et sèment le chaos au sein de communautés compactées autour de valeurs et de traditions archaïques, entendez par là religion et racisme.
Ashland, capitale de la pastèque depuis des temps immémoriaux est peuplée de gens ordinaires, obsédés par l’idée de fertilité et vouant un culte au cucurbitacée. À croire que toute la vie s’est développée autour de cette plante dont le fruit rond et les tiges rampantes et envahissantes ont inspiré plus d’un conte fantastique. Une fois par an, on y élit un roi, désigné parmi les hommes vierges. Au cours d’une cérémonie, alliant rituels du Ku Klux Klan et orgie païenne, le puceau est déniaisé. « Je vous l’accorde, l’élection du roi de la pastèque peut être considérée comme un manque de goût choquant. C’est être irresponsable que de promouvoir le sexe à notre époque. Mais soyons francs : les gens d’ici s’intéressent plus au décompte des graines de la plus grosse pastèque de la ville qu’au Sida ou à ce genre de choses. »
Une femme, jeune, jolie, étrangère perturbe cette tradition, mettant au monde l’enfant du puceau désigné. Il s’agit de Lucy Rider. Pendant dix-huit ans, la cérémonie n’aura plus lieu, les plantations et la ville connaissent le marasme. Jusqu’au jour où, Thomas Rider, vient enquêter sur les circonstances de la mort de sa mère et les mystères de sa naissance. Il sera le nouveau roi que la communauté attend avec une ferveur hystérique. L’enfant, élevé par son grand-père, magnifique affabulateur, fut nourri de légendes occultant ses origines. Comme dans Big Fish, un fils demande des comptes à son père (grand-père) sur sa naissance, traque la vérité, ne supporte pas de vivre dans le mensonge, fut-il féerique. Mystère de la naissance et mystère de la mort se chevauchent toujours chez Wallace.
La narration, débridée, génère aussi bien le fantastique, que le réalisme, rebondit dans tous les sens. Mais ce dernier tient fermement les rênes du récit, en le structurant rigoureusement. Le découpant en trois parties, il laisse dans un premier temps le lecteur libre d’échafauder toutes les hypothèses en le confrontant aux récits des différents protagonistes. Défile une galerie somptueuse de personnages pittoresques, attachants. L’auteur cisèle avec brio les différents registres de langues, d’accents, de niveaux culturels, d’états d’âmes. Chacun se raconte à Thomas Rider avec sincérité suscitant sympathie et approbations. L’auteur de Big Fish recouvre alors la sauvagerie et la malignité intrinsèques des personnages d’un voile quasi humaniste. La deuxième partie pourrait s’intituler « Grandeur et décadence d’un grand-père ». Thomas Rider passe du statut d’enquêteur, à celui de narrateur, révèle les maintes histoires inventées par le vieil homme sur sa naissance quasi mythique, les mêlant à d’autres mensonges tous plus farfelus mais cohérents les uns que les autres qui en fait le constituent. « Ce sont les histoires qu’on raconte sur soi-même qui donnent un sens à notre vie. Sinon, que nous resterait-il ? » Dans la troisième partie, Thomas Rider évoque son arrivée dans la ville, son élection de roi de la pastèque et toutes les péripéties qui suivront. De rebondissement en rebondissement, les divers éléments d’un puzzle jusqu’alors improbable, s’agenceront à la perfection, laissant le lecteur époustouflé.
Daniel Wallace dénonce l’oppression d’une communauté sur les individus, le vernis social qui camoufle d’immondes pratiques, la violence, le racisme, les rapports incestueux, tout en mettant le bien et le mal sur un même plan, ce qui peut paraître gênant. Dénonciation politiquement correcte ? Tendance contemporaine à relativiser les agissements des tortionnaires et victimes ? Non, plutôt art du conte dont la fonction primordiale est de dire par l’hypertrophie, le merveilleux, la parabole des choses horribles pour permettre aux humains de continuer à affronter le réel. Cet illustrateur, né en Alabama en 1959, vivant actuellement en Caroline du Nord confronte le passé archaïque à une modernité lisse, flasque, anxiogène avec beaucoup d’humour, mais aussi extrêmement de gravité. Ici, l’idiot du village, le plus crétin d’entre tous, aura le courage de dire non et de tout brûler.
« Et il a dit : Il y a un singe qui s’amuse quelque part. Ça signifie…

 Je sais bien ce que ça veut dire. C’est ce qu’on dit quand il pleut et qu’il fait beau en même temps. »


Dominique Aussenac

Le Roi de la pastèque
Daniel Wallace
Traduit de l’américain par Laurent Bury
Autrement, 228 pages, 14,95

Un singe en été Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°63 , mai 2005.
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