Faut-il être un connaisseur de Tchekhov (1860-1904) pour apprécier ces Carnets ? Certes, des fragments narratifs et autres images trouveront leur place parmi les nombreuses nouvelles de l’écrivain russe. Nul doute que l’aficionado des Contes de toute la vie, de Trois années, sans compter le théâtre de L’Oncle Vania ou de La Mouette, se sent à l’aise ici tant d’échos permettent de multiplier un plaisir subtil. Mais à l’ignorant, il faut une certaine dose de persévérance ou de goût de l’aventure pour pénétrer ce qui paraît d’abord un immense mur fait des briques disparates de mille notations, de sujets en embryons…
Ce laboratoire où gens et choses vus, formules et idées ne trouveront leur sens actif que dans les œuvres peut rebuter. Pourtant, ce qui ne devrait avoir sens que pour l’écrivain dans le bouillonnement obscur de sa recherche, de sa création, se fait vite lumineux. Il y a de brillants aphorismes : « Ivachine savait bien philosopher sur l’amour, mais aimer non ». Ce joyeux mélancolique, comme on le qualifie souvent, est le type de l’homme instruit, cependant décontenancé par la petitesse sordide de la vie de tous les jours : « Plus on est cultivé, plus on est malheureux, maladif ». Reste l’humour, l’esprit caustique qui sait si bien fixer les mouvances du caractère humain : « Quand je me suis marié, je suis devenu une femmelette ». Atelier, autoportrait ou bribes de fictions ? Sauf un journal intime, ces Carnets sont tout cela pour se lire avec bonheur.
Thierry Guinhut
Carnets
Anton Tchekhov
Traduits du russe par Macha Zonina et Jean-Pierre Thibaudat
Christian Bourgois, 336 pages, 23 €
Domaine étranger Le laboratoire Tchekhov
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Le laboratoire Tchekhov
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.