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Poches Tourner casaque

mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63 | par Françoise Monfort

Si Alexeï Tolstoï, tsariste puis stalinien, a suivi avec aplomb le vent de l’Histoire, l’imagination débridée de son Ibycus laisse le lecteur toujours étourdi.

Un même patronyme et une même origine noble, voilà à peu près tout ce que partageaient ces deux Tolstoï de la littérature russe. Et, comme pour dissiper toute ambiguïté, Alexeï met dans la bouche du protagoniste d’Ibycus, roman publié en 1924, de quoi régler définitivement son compte à son aîné Léon disparu quatorze ans plus tôt. Le « vieillard malfaisant », « comte » et « propriétaire terrien », « neurasthénique, bien sûr, et qui, brusquement, s’est pris de passion pour le chou » est en effet accusé d’avoir introduit le bolchevisme dans leur pays. Voilà le célèbre Léon habillé pour l’hiver russe réputé long.
Un iconoclaste donc ce Semion Ivanovitch Nevzorov d’Ibycus. « L’âme emmanchée d’un ressort », un modèle d’opportunisme façonné, manipulé avec jubilation par un Tolstoï maîtrisant de bout en bout sa créature, le malmenant jusqu’à déclarer qu’il « ne valait rien pour faire un héros de roman ». On préfère qu’il l’autorise à s’auto-proclamer « brillante personnalité, roi de l’existence ». On donne même des circonstances atténuantes à sa mégalomanie : une Tzigane à la cuisse crasseuse lui a prédit un destin hors du commun que la Grande guerre puis la révolution bolchevique inaugurent aussitôt en le contraignant à l’exil. Dans une traversée nord-sud de la Russie livrée au chaos, Nevzorov change plusieurs fois d’identité et de métier, se forge un pécule de manière crapuleuse, échappe à la mort pour finir tabassé par la police politique de la Russie blanche. Perclus mais libre il rejoint ses compatriotes échoués à Constantinople où il se livre, entre autres, au proxénétisme et aux courses de cafards dressés.
Des péripéties servies par une écriture survoltée, imaginative avec réveils qui tictaquent et armes qui tactactaquent. À la limite du minimalisme : « Ah, ces fumées ! Ah, ces paquebots rouillés ! » suffisent à décrire le port d’Odessa, purgatoire pour des milliers de candidats à l’exil. On est déjà bluffé que, de pirouette en pirouette et avec une causticité grandissante, l’auteur nous amène à l’ultime volte-face où, par « honnêteté », il avoue renoncer à donner une fin à son livre. Honnêteté ou suprême tour de passe-passe ? On n’en finit plus de s’interroger sur ce roman riche en retournements et en faux-semblants qui laisse sous le charme. Un charme d’illusionniste annonçant la couleur d’emblée avec son titre Ibycus « le crâne parlant », carte divinatoire symbole de la mort. On se remémore alors les scènes récurrentes où apparaît ce Horla venu de l’Est. Nevzorov le voit partout « dans sa lutte contre un sort qui l’assaillait en tous lieux sous le couvert de masques hideux tous masques d’Ibycus ». Pendant tragique de ses aventures picaresques, on l’a compris, Ibycus est le double de Semion l’opportuniste. On comprend aussi que, grâce au stratagème des jeux de miroirs, l’écrivain nous renvoie sa propre image à travers celle de son héros. Alexeï Tolstoï a lui-même été contraint à l’exil pour cause de guerre et de révolution. On ignore si son bateau a quitté la terre natale le 8 avril 1919 comme son personnage. On sait en revanche qu’il a regagné sa patrie l’année précédant la parution d’Ibycus. On sait encore qu’il a publié Les Chemins des tourments, trois volumes censés démontrer comment la Russie a su se dépêtrer des embûches de l’Histoire, et qu’il a été élu député au Soviet suprême. Bref, qu’il a su fondre son petit destin dans celui d’un grand pays en marche vers les demains qui chantent.
Mais cette carrière de chantre du régime était-elle vraiment à la mesure du talent d’Alexeï, auteur d’Au-delà des fleurs, poèmes publiés en 1907 ? À la lecture de son roman on en doute. « La révolution russe avait corrodé son âme sensible » dit-il du Semion d’Ibycus dont on se demande alors s’il ne serait pas le testament d’un poète condamné par l’Histoire à l’opportunisme.


Françoise Monfort

Ibycus
Alexeï N. Tolstoï
Traduit du russe par Paul Lequesne
Rivages poche, 214 pages, 7

Tourner casaque Par Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°63 , mai 2005.
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