La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Du plomb à l’éveil

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Richard Blin

Entre soif d’action et désillusion, le bel exercice de lucidité du poète italien Gianni d’Elia.

Congé de la vieille Olivetti

Parallèlement à l’écriture de sa propre œuvre son premier livre de poèmes date de 1980, Gianni D’Elia, né en 1953, a traduit Baudelaire, Gide, des poètes symbolistes et surréalistes français, et a fondé la revue Lengua, qui a publié quelques-uns des plus importants poètes italiens de la seconde moitié du XXe siècle.
La vieille Olivetti en question est la Lettera 32, la célèbre machine à écrire de la firme Olivetti, la compagne de bien des écrivains, la « chère et verte petite machine », complice et témoin de tous les enthousiasmes et de tous les découragements, des « rêves brûlés », comme des « récits manqués » ou des « vers à refaire ». Devenue le symbole d’un passé révolu, cette vieille Olivetti est à l’origine d’un dialogue, entre elle et le poète, qui tourne assez vite à un « art poétique en forme de bilan existentiel, historique et générationnel » (Bernard Simeone). Gianni D’Elia y distille un adieu plein de tendresse et de douceur à ses années de militantisme révolutionnaire, lorsque tous « unis dans la fièvre d’être et de dire », ses camarades et lui rêvaient de changer radicalement le monde. Aujourd’hui, il sait que c’était un rêve mais, à l’époque « tous, comme moi, l’ignoraient,/ voilà pourquoi nous étions si durs et sûrs, au point/ de prendre un rêve pour la réalité. À présent je peux dire/ que c’est là notre vraie faute. Ce n’est pas une génération // sans rêve que la mienne : elle a rêvé/ mal, sans le savoir, sans la conscience, la culture/ et la poésie nécessaires au rêve/ pour qu’il ne devienne pas cauchemar, obligation de rêver,// de ne pas se réveiller… ! »
Entre le souvenir des mots d’ordre et les mots du poème à mettre en ordre, l’écriture tissent les fils qui relient à ce qui a disparu, à ce qui disparaît, au vent, « à l’herbe jaune, (…), aux pensées brûlées qui germent à nouveau sur la mer, à vous// qui écoutez avec une âme de crèche qu’on défait ». C’est amer, désabusé, souvent ironique, mais toujours irrigué de la saine sève d’une vérité qui libère.
Le poème souvent commence par un « Ou », un « Ou comme », un « Mais », un « Ainsi » qui sont comme autant de façons de marquer une étape, un écart, un manque ou un regret. Une façon aussi de reprendre souffle, de souligner d’insurmontables contradictions faire plutôt que dire ? Se contenter de voir et dire ? ; de suggérer aussi l’impossible dépassement des antinomies, sauf, peut-être, au sein même du poème.
Une écriture poreuse au passé, à sa mélancolique emprise (« que sommes-nous donc à présent que le son/ d’un muet abandon, d’un silence dans le vacarme »), dont témoigne exemplairement « La désillusion », longue dérive aussi lyrique que sinueuse d’un homme en souffrance errant entre nostalgie et idéal. L’exigence adolescente, la révolte, quelques expériences irréductibles, les amis morts, les amours disparues, le doute, la fraternité… Pour les évoquer, le poème peut se faire chant, passer de la lumière au deuil, de la tendresse à la morsure tout en rendant hommage à tous ceux que Gianni D’Elia admire : Franco Fortini, Pier Paolo Pasolini, Ossip Mandelstam, Fellini, Godard… Mais il le fait toujours avec retenue et dignité, car il s’agit de ne jamais « trop parler de soi de peur de dévoiler// les baisers fantasmatiques de la pornographie,/ l’hébéphrénie virulente, ambiguë, brûlée en rimes/ dans les quatre élastiques d’un quatrain / ah, ne pas parler de cette impolitesse qu’a le jouet// d’unir au rêve la vérité qui tue ».
Ce pourrait être désespéré, ce ne l’est pas, bien au contraire. Il y a chez Gianni D’Elia une sorte de pessimisme enthousiaste qui l’ouvre au quotidien, aux présences immédiates. « L’impoétique : raconte-le par éclairs./ Nomme les choses nouvelles, inaperçues,/ du monde où nous sommes à présent/ plongés. Que les vers soient// soucieux de l’ordinaire ». C’est qu’il semble avoir admis que l’homme s’il est partagé, ou même déchiré parfois, entre le oui et le non, le moi et le nous, l’amour et la haine vit et vibre grâce au jeu de ces tensions. L’homme a besoin des deux, d’être présent à la cité comme à lui-même. Congé de la vieille Olivetti tient de cette remarquable lucidité, de cette lumière qui est naissance continuée, et de cet esprit de résistance qui permet encore de voir dans le présent de bonnes raisons d’être.

Richard Blin

Congé de la vieille Olivetti
Gianni D’Elia
Traduit de l’italien par Bernard Simeone
Éditions Comp’Act, 190 pages, 21

Du plomb à l’éveil Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.
LMDA PDF n°64
4,00