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Histoire littéraire Brûlure au cœur

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Françoise Monfort

De l’anarchisme au militantisme : le philanthrope Victor Barrucand (1864-1934), mentor de l’aventurière Isabelle Eberhardt, laissa un roman, au goût de cendres.

Avec le feu

Mallarmé auquel Victor Barrucand venait de dédier un recueil de poésie le loua par ces mots : « Vous tenez votre gageure, j’admire ! ». L’éloge aurait pu s’appliquer à Avec le feu pour son exploit à concilier manuel d’anarchie et éducation sentimentale dans un même livre. Petit bijou exhumé aujourd’hui de l’oubli, il s’en dégage une impression de rareté indéniablement liée à la personnalité protéiforme de son auteur. Barrucand se partagea en effet longtemps entre son œuvre de poète et l’action, nécessité quasi identitaire pour l’anarchiste qu’il fut jusqu’au milieu de sa vie et qui culmina par le lancement d’une campagne en faveur du pain gratuit. Vaste programme d’un homme avant tout épris de justice. Rien d’étonnant donc à ce que son récit s’ouvre dans le Palais du même nom.
5 janvier 1894 : le procès d’Auguste Vaillant vient d’être remis. Meyrargues et Robert, son secrétaire, se retrouvent sur le pont Saint-Michel à quelques pas de là et s’entretiennent de l’affaire qu’ils vont suivre de près pour être eux aussi versés dans l’anarchie. L’un comme sympathisant, l’autre militant. Nuance à première vue anodine mais sur laquelle repose le portrait croisé des deux personnages. Meyrargues est journaliste, auteur d’une pièce à succès, mondain mais suffisamment éclairé pour attirer la malveillance d’un régime qui lui reproche ses amitiés politiques. S’il égraine ses aphorismes autour de lui : la bourgeoisie « mourra en radotant du Voltaire » et possède « un certain vernis de politesse et de corruption (qui) lui semblait le seul bénéfice de la civilisation », on sent cependant la désillusion poindre sous la lucidité qu’il arbore au revers de son frac. Pour guérir d’une peine d’amour, il doit ainsi fouiller dans sa mémoire à la recherche d’images enfouies un couple de singe dorlotant son petit ! seules capables de le ramener au « fond de la tendresse humaine ». Procédé en solitaire qu’un Proust parfois très proche en justesse psychologique n’aurait pas renié. Meyrargues incarne une maturité éclatante mais déjà altérée, à l’opposé de Robert à peine sorti de l’enfance et de son « bon goût de la vie au chocolat ». « Brûlé d’une phtisie morale » et préférant « aux absinthes«  » " l’amertume intérieure qui, des soirs, l’exaltait », héros auquel on s’attache d’emblée pour sa pureté n’admettant aucun compromis, le jeune homme succombe un soir à de « beaux yeux clairs où loger gratuitement des infinis ». Ce regard appartient à Laure Vignon, jeune pianiste entrée en musique comme on entre en religion.
L’apparition de cette coquette à rebours a ici quelque chose de surnaturel. Barrucand aime ses personnages, les pousse vers des sommets que sa poésie lui a appris à atteindre. Toujours en grandeur d’âme, jamais en mièvrerie, confondante de modernité, on recherche en vain l’équivalent de son héroïne en littérature. « Laure n’étalait point le jargon et les afféteries des préciosités de l’hôtel de Rambouillet, mais une morale franche et hardie » écrit-il. Révoltée « contre la destinée utilitaire de son sexe », aux hommes qui se déclarent, elle ose affirmer que l’amour « n’est qu’une forme inférieure de la poésie » et le bonheur celle de la lâcheté. Robert puis Meyrargues viennent grossir à leur tour la troupe des éconduits. Frappé par cet échec amoureux et la condamnation à mort de Vaillant dont on a eu connaissance entre-temps, le premier cédera alors définitivement aux chimères du nihilisme. Le second, à 36 ans, poursuivra sa carrière de désenchanté.
Trente-six ans c’est aussi l’âge de Barrucand à la parution de Avec le feu (1900) et de son départ pour Alger après un détour peu convaincant en politique. Laissant derrière lui les Robert et les Meyrargues, le jeune militant puis l’homme de lettres séduit par la Cause qu’il avait été autrefois, Victor Barrucand mène enfin des combats à sa mesure, non plus pour des idées mais pour des hommes : défense de la cause arabe et lutte contre l’antisémitisme. Du poète anarchiste naît le visionnaire.

Françoise Monfort

Avec le feu
Victor Barrucand
Phébus, 204 pages, 16,50

Brûlure au cœur Par Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.
LMDA PDF n°64
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