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Poésie Beau comme impossible

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Richard Blin

Ils soumettent le réel à la lumière noire de leurs vers en surtension et font de l’implosion le moteur de leur écriture. Une anthologie, et un nouveau livre de Matthieu Messagier, pour découvrir les poètes électriques.

Précis de dynamitage

Fond de troisième œil

Ils étaient jeunes, frondeurs, « à l’affût d’une autre beauté, d’un autre désespoir », et n’imaginaient la poésie qu’insoumise et convulsive, grosse de ce pouvoir d’illumination sans lequel elle n’est rien. La poésie comme résidu de calcination, éclats sauvages surgis de la ruine exaltée du rêve, du langage, du désir. Des éblouissements, de l’hérésie, de l’insensé mûri au plus secret d’une fringale d’écriture. Fruit de la vitesse et de cette électricité mentale dont ils firent leur emblème, le Manifeste électrique aux paupières de jupes paraît en 1971. « Manifeste électrifié/ Manifeste-rectum / Manifeste de brumes /(…)/ Manifeste aux balles mentales/ Manifeste greffé insurrectionnel/ Manifeste de braises immobiles/ Manifeste d’agonie qui mouille/ Manifeste d’immobilité-cheveux/ Manifeste d’aiguilles oppressées/ Manifeste restitué des réalités ». Une gerbe augurale à voix multiples pour dire non à l’impérialisme théorique. Un Manifeste pour promouvoir une autre façon d’être au monde, de sentir, d’écouter, d’écrire. En n’abordant qu’à l’impossible, en n’aimant que l’écart, en réinventant le mouvement, la musique. En déprogrammant la pensée, en dépaysant la langue, en électrisant l’expression et en rejetant le « je » et le « nous ». D’où d’incessantes mises en court-circuit, des ensemencements d’irréalités fauves, des cartographies de vertiges. « Il s’agit par transmutation (et non plus seulement par transformation), de faire apparaître un nouvel état philosophal de la matière langagière ; une sorte de métal incandescent, hors origine et hors communication, c’est-à-dire du langage et non pas un langage », écrit Lucas Hees dans la présentation, très inspirée, de son Précis de dynamitage, offrant, année par année, des extraits du meilleur de ce qu’a produit la poésie électrique. On y voit le langage soumis à d’émerveillantes irradiations, et comme miré aux multiples facettes d’une pensée se brûlant au hasard des osmoses avant d’être solfiée entre hypnose et silence.
Des seize signataires du Manifeste électrique (dont Zéno Bianu, Adeline, Jean-Jacques Faussot, Jacques Ferry, Thierry Lamarre…), Matthieu Messagier est, avec Michel Bulteau, celui qui a la plus imposante bibliographie. Après la réédition de ses premiers livres (Poésie 1964-1974, chez Flammarion, en 2000, et Géologie historique et autres poèmes, chez Bourgois, en 2001), et la récente monographie signée Renaud Ego, chez J.-M. Place, Fond de troisième œil illustre l’étendue du registre poétique de son auteur. Composé de treize séquences aux titres évocateurs « Chimères de toits bouillis » ; « Mémoires d’un sourdeur d’extases » ; « Bulletin du vivre » ; « Le dieu aux mains d’adjectifs » ; « artifices.com »…, l’ensemble relève d’une approche virtuose et fascinée du monde. Décloisonnant l’inconnu, poursuivant l’invisible sous le visible, acculant le sens dans des impasses pour mieux s’emparer des évidences nées du jeu des pures syllabes, chaque séquence semble le fruit des amours de l’étonnement et de la force de fracture d’une pensée en transes. « Syncope d’une aurore en suspens ;/ il s’agirait trouve ici dix mille/ digressions du jugement anémique/ ne crois que ta foi de fauvette/ qui monte lentement du tréfonds/ de tes os pour venir s’épanouir/ en cent milliards et plus gouttes/ de coïncidence d’avec le fin sang/ translucide du vent d’aujourd’hui// qui lui aussi tant mieux va disparaître. »
Une écriture qui dégage l’horizon, progresse à la façon d’une onde de choc, réveillant des mémoires endormies ou transversales, dynamitant l’immobile et le figé. Plongeant dans le vertige des choses, le « prairial abstral » ou « les petits soirs pop », Matthieu Messagier ajoute du mystère aux paroxysmes, conjugue la dérision à l’intense. Loin des idées (« les idées n’existent pas »), il parle ensemble le toujours et le soudain, l’épine et le jusant, le jus de foudre et la mouche sur l’oreiller, « les avions étrusques et les toundras chafouines »… Des transports d’inouï, des miracles sans gouvernail voisinent avec les idoles et les intrigues d’une mythologie personnelle dont le pays de Trêlles reste l’espace de réverbération et la source.
En chaque vers, ou presque, s’ouvre un événement (« gourde des derniers nectars/ comme des verdicts rendus/ à la énième lumière/ d’une recherche de lisière/ gavée des luxes du bas/ que tu conduis du haut/ et puis pour les dissoudre/ au centre du milieu »), se libère une énergie qui éclaire le « verso noir » des choses, celui où se tiennent l’envers du sens, l’inexploré et où se fomentent ces émeutes mentales d’où surgit le poème.
On aura compris que chez Matthieu Messagier on est en deçà autant qu’au-delà de toute exigence de communication. Tout chez lui relève du somptueusement insolite, de ce monde féerique propres aux enfances « gracieuses et fétichistes », de cette poésie conçue comme le « réel absolu », qui n’est ni savoir, ni ordre, ni sens. Une poésie à l’état natif, plus à éprouver qu’à lire : à recevoir avec les sens, cet amour de l’énigme et ce goût du mystère qui, seuls, permettent de supporter l’insupportable de la condition humaine.

Richard Blin

Précis de dynamitage
Anthologie électrique 1966-2001

Lucas Hees
La Différence, 480 pages, 35

Fond de troisième œil
Matthieu Messagier
Flammarion, 302 pages, 18,50

Beau comme impossible Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.