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L'Anachronique Les enfants des Calet

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Éric Holder

Je me suis rendu hier au soir à une belle fête à Paris. Le Dilettante, éditeur, célébrait ses vingt ans d’existence dans la cour attenante ombragée de chèvrefeuille. Un orchestre jouait des valses et des rumbas, ce qui se révélait utile au moment de tracer une sente jusqu’au bar dévasté. D’une hauteur, en compagnie d’un bouquet de plantes en pots, j’ai eu l’impression d’assister à un récital. L’envie m’est venue plusieurs fois d’applaudir. À la place, j’ai beaucoup souri. Avec un peu d’âge, je finis par nous trouver peu nombreux, qui avons fait de lire notre métier. Un village, certes, mais dont chaque maison abrite un passionné, un joueur, un perfectionniste, un désespéré, un excentrique aussi, dont la tenue est le blason. Elles formaient une mosaïque tunisienne ce soir-là, les hirondelles du treizième rasaient les toits, le jour s’étirait longuement. J’observais Dominique c’est le prénom du Dilettante émergeant de la foule, veston vert passé, pochette rose pâle, ses interlocuteurs arrivaient sur lui en vague, avant de laisser place à la prochaine. Lorsqu’il immobilisait l’un d’eux, on voyait le visage de l’invité se colorer de plaisir. C’est un sentiment que je connais bien. Quand Dominique a de l’affection pour vous, il n’en a envers personne d’autre. Vous êtes l’objet d’un réchauffement soudain.
À Aix-en-Provence, le libraire m’avait dit : « Vous voulez être publié ? Voyez quels sont vos auteurs de dilection. Qui les publie. » Sage conseil quand on a dix-neuf ans. Je venais de découvrir Calet, et qu’une voix peut user du « je » sans faire sonner de la trompe. Cette voix, qui avait aimé certaines choses de son temps, le restituait avec une poésie discrète. Son style constituait une source pour l’apprenti, avec ses « mais » suivis d’une virgule, sa respiration entrecoupée de soupirs, son découpage au bout duquel une phrase retombait à quatre pattes, non loin du cœur. Il était donc possible d’exister, en littérature, sans passer par les ors et les pompes ? D’emprunter des chemins buissonniers, au point que ses livres arrivaient dans mes mains ? Calet ouvrirait la porte à Hardellet, Vialatte, Dhôtel, Follain, Cingria, Réda, Bouvier, Fargue… Pour l’heure, je croyais être seul à ne lire que le premier. Je pris le train de la capitale pour rencontrer Dominique, qui éditait au Tout sur le tout, à l’enseigne de l’auteur.
Dès lors, à chaque voyage de Paris, je sortais Place d’Italie, descendais sous les arbres le boulevard Blanqui jusqu’à la rue Corvisart, la vitrine vert anglais dans laquelle subsistaient des objets des années 50. Le long du chemin, cent détails évoquaient Calet, les hôtels deux étoiles, les commerçants à « pratique », les murs pas ravalés, la pluie à odeur de feuille. À l’intérieur, Dominique recevait sans cesser d’inscrire les prix à l’intérieur des volumes d’occasion un vieil érudit à casquette, un coursier fou de lectures, un ouvrier descendu de la Butte-aux-cailles. D’impétueux jeunes gens lançaient un titre, un nom (André Obey, Marcel Cohen, Pierre Cautrat) qui se mettaient à briller, aurifères, dans le tamis. Il arrivait que nous finissions tard, dans des restaurants à nappes en papier. Un couscous, tous pour un. Quelques-uns connaissaient par cœur des chansons poétiques et certains soirs, Dominique entonnait les airs du Chanteur de Mexico. J’en appris sous la douche, scotchées dans des pochettes en plastique. Trop tard, nous passions aux Halles, à Montparnasse, dans des salons où je me sentais, sous les lustres, Le croquant indiscret. Et eux ? Nous montions par une trappe sur le toit du Bœuf sur le toit. La ville où scintillaient mille lueurs de champagne s’étageait en dessous. Quelle université ! Il ne s’agissait pas de rater un cours, je m’inscrivis à Paris.
Dominique, à partir d’une poignée d’auteurs, prolongeait ses ramifications, emportant avec lui de quoi démarcher lui-même le libraire. Nous partions tous les deux sur les routes de France. En Bretagne, nous écoutions dans la voiture des cassettes enregistrées à propos de Robert Morel, l’éditeur. Nous revînmes d’Agen avec un prix hérissé de lames, un objet dangereux que nous eûmes l’étourderie d’abandonner près d’une école et de son gardien. À Saint-Tropez, en hiver, sur une plage, nous atterrîmes dans un anniversaire gay, « Rome antique ». Dominique allongeait ses jambes depuis le fauteuil fiché dans le sable, charmé d’être servi par des gitons en tunique rose, un mince bandeau rouge dans les cheveux. Nous nous connûmes en maillots de corps, dans les couloirs d’hôtels fantômes. En maillots de bain, au bord de la piscine. Ah ! il entre dans ce « nous » un peu du bonheur d’avoir Dominique à soi seul. Qui d’autre, s’éclairant au nom de Léon Arega, entre Hennebont et Auray, serait capable de citer des titres, Le débarras, ou Comme si c’était fini ? Sans doute les anciens de la bande, auxquels viennent s’ajouter d’autres que je ne connais pas. Ils affluaient autour de lui, des fruits apparaissaient sur les tables, et il me semblait avoir déjà vu cette veste vert passé. De récents succès lui valent de faire doubler ses anciennes (de taffetas ?). L’occasion n’est pas si fréquente d’observer qu’un goût résiste, et que la fidélité commence à soi-même.
Lorsque Lola, ma fille, a poussé son premier cri, je suis sorti prendre l’air devant la maternité. Boulevard de Port-Royal, à huit heures du matin, je songeais au début de Monsieur Paul, l’accouchement décrit quelques rues plus loin, vers Assas. Théo, mon fils, est né un quatorze juillet.

Les enfants des Calet Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.