Le temps qui file tresse des nœuds d’angoisse. Il sème des bribes de notre propre identité, chaque instant qui passe nous éloignant de nous-mêmes. L’angoisse du temps s’inscrit dès le titre du premier livre de Jeanne Herry comédienne née en 1978. Ses 80 étés signent la fin du printemps et font entendre le participe passé du verbe être.
Le livre s’écrit sur le mode de la quête intime, des souvenirs, de la collection des moments vécus. À son horizon, deux hommes : le psychanalyste de la jeune femme et Paul le grand-père paternel qui vient de mourir. Ce dernier donne la matière du livre, le premier en définit la forme. Car 80 étés décline un travail de deuil en forme de canevas : les chapitres courts, d’une sensibilité inquiète et tendre, finissent par constituer une voix, celle d’un écrivain. C’est ce qui surprend : le livre n’exhibe aucun drame déchirant, aucune souffrance spectaculaire. C’est le premier bilan d’une jeune femme qui a longtemps pensé avoir du charme là où d’autres sont belles. Une fille qui n’a jamais cessé de se chercher. Elle pourrait ne rien raconter, que Jeanne Herry imposerait encore qu’on la lise. Il y a dans ces pages une étonnante sagesse et une pétillante jeunesse ; le cocktail est rafraîchissant autant qu’émouvant. « Mes parents… comment vous dire que vous voir vieillir me donne parfois envie de mourir avant vous ? » est une phrase qu’on lit, après que l’écrivain a évoqué les mots que le prêtre à l’enterrement de Paul a prononcés : « avec autant de conviction que si l’on me forçait, couteau dans le dos, à féliciter Bernard Tapie. » En pointillés, Jeanne Herry utilise tous les tons de sa palette : avec une justesse qui touche.
80 étés de Jeanne Herry
Gallimard, « Haute enfance », 113 pages, 10,50 €
Domaine français Miroir du deuil
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Thierry Guichard
Un livre
Miroir du deuil
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.