Écrivain sud-africain né en 1957, Ivan Vladislavic a vécu la fin de l’apartheid à l’approche de la quarantaine. Sans doute libérée de l’obligation de témoigner qui avait pesé sur ses compatriotes aînés Gordimer ou Brink, son écriture s’emballe parfois hors de toute contrainte, frôlant le conte fantastique voire la fantasmagorie. Contempteurs du « monde éveillé », les personnages de ses nouvelles courent après des chimères et des fantômes dans les rues de Johannesbourg. L’un sillonne les librairies à la recherche de livres ayant appartenu à une inconnue dont il tombe amoureux avant de la voir s’évanouir avec, sur son chemisier, « écrite en caractères English Time la légende : THE END ». Un autre est persuadé d’avoir rencontré le King dans un bar puis se heurte à Steve Biko, martyr de la cause noire, « je l’ai suivi jusqu’au rayon quincaillerie où il m’a brûlé la politesse ». Un certain Hauptfleisch, lui, invente « l’Omniscope ». Fabriqué d’après un rêve et composé d’objets hétéroclites allant des « quatre tops de l’horloge parlante » à « une doctrine jadis fameuse », ce kaléidoscope amélioré permet de s’approprier une autre vision du monde. Celle de Vladislavic est indissociable de l’histoire de son pays en pleine crise de résilience. Le tout récent musée de l’apartheid qui a consacré une salle aux « mesquineries » dudit régime se met en quatre pour récupérer un « banc » pour blancs « », symbole d’un passé trop proche. Un sculpteur mandaté par le gouvernement débarque dans un village du veldt en quête d’un modèle pour une allégorie du courage grandeur nature. Ambiance rurale grinçante rappelant Faulkner et son comté, on le voit évoluer à travers les yeux d’un enfant soulagé qu’il ne soit « plus vraiment nécessaire d’être aimables avec les blancs ». Il le regarde vivre, l’épie, décrit sa différence balourde, « Ses pieds m’ont dégoûté de ma nourriture. Ils étaient pâles et charnus comme des légumes ».
Cultivant l’absurdité à l’extrême mais aussi une grande tendresse envers ceux qui la subissent, l’auteur est hanté par les mythes qui s’effondrent. Racisme à rebours mais aussi déboulonnage concomitant de statues ces « monuments de la propagande » pour cause de renversement politique entre Moscou encombrée par ses Lénine cyclopéens et Pretoria qui descelle ses anciens héros à tout va. Écrivain frappé de désillusion, Vladislavic tente avec ses mots d’adapter sa vision découlant d’un apprentissage en noir et blanc à un monde de chaos kaléidoscopique qui nous dépasse tous.
Les Monuments de la propagande d’Ivan Vladislavic
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Christian Surber
Éditions Zoé, 249 pages, 18,05 €
Domaine étranger Rêves post-apartheid
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Françoise Monfort
Un livre
Rêves post-apartheid
Par
Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.