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Arts et lettres Le gouffre Molinier

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Philippe Savary

On l’appelait le chaman, le vieux sorcier, le petit diable ou encore le « maître du vertige » (Breton). Il se qualifiait lui-même de « monstre ». Parce qu’il connut une vie d’enfer. À 13 ans, il peint des porte-parapluies ; à 18, il photographie sa sœur sur son lit de mort avant de violer son cadavre. Longtemps, le nom de Molinier s’accompagna d’une odeur de soufre, lui qui fut tenancier d’un bordel, lui qui gardait précieusement un revolver dans le tiroir de sa table de nuit, et qui aimait à fabriquer, à l’attention d’une petite clientèle, « l’éperon d’amour », un godemiché monté sur le contrefort d’une chaussure. Dans ses dernières années, raconte l’écrivain Pierre Bourgeade, il n’achevait jamais une toile sans la tamponner délicatement avec son propre sperme.
Mais au-delà du scandale, Pierre Molinier, peintre en bâtiment de métier, reste un précurseur de l’art corporel, obsédé par les jambes et l’auto-érotisme, le fétichisme et le travestissement. « Soyez sûr (…) que vous n’avez dans le surréalisme que des amis », lui écrit Breton en 1955, séduit par cette peinture orgasmique et voluptueuse, proche de Rouault et de Gustave Moreau. Si Molinier abandonna ensuite ses pinceaux pour la photo et le photomontage, son attirance pour le sacrilège (et la subversion des genres) ne faiblit pas. Pour lui, l’art était le domaine de la jouissance. Et tous les désirs y prenaient corps. Son atelier qui se confondait avec sa chambre regorgeait de trésors fabuleux, temple en l’honneur de la divine Androgyne, mêlant les voilettes aux résilles, les mannequins gainés aux poupées maquillées.
Aujourd’hui, une actualité féconde met en lumière le travail de haut vertige de ce paisible provocateur à la simplicité désarmante, et au ricanement métallique, qui déclarait : « La société me dégoûterait si quelque chose devait encore me dégoûter ». À Paris, la galerie À l’enseigne des Oudin présente ses séries conceptuelles explorant les relations photographie/peinture. À Bordeaux, ville où il vécut jusqu’à son suicide en 1976, et qui ignora jusque-là cet hôte embarrassant, on lui rend hommage. Le Musée des beaux-arts propose « Jeux de miroirs », une sélection de ses peintures et photomontages, au regard de la production d’artistes contemporains (Cindy Sherman, Robert Mapplethorpe, Matthias Herrmann…). Le Théâtre du Pont-Tournant adapte l’« Entretien de Pierre Molinier avec Pierre Chaveau » dans une mise en scène de Stéphane Alvarez, tandis que Glob Théâtre accueille, dernière étape d’un cérémonial du dévoilement mis en abîme, un spectacle chorégraphique, « Le Modèle de Molinier ».
Plusieurs ouvrages s’attachent également à percer les secrets de l’artiste polymorphe. Je suis né homme-putain réunit des dessins et des écrits inédits (Biro éditeur/Kamel Mennour) alors qu’Opales/Pleine page fait paraître trois livres. Henri Maccheroni y publie Un après-midi chez Pierre Molinier, au cour duquel l’invité assistera, ébahi, à une « opération transformiste qui dépasse de loin le travestissement », Pierre Petit traque, lui, La Tentation de l’Orient dans son travail (ésotérisme, tantrisme…) Mais c’est avec le recueil de Jacques Abeille, Pierre Molinier, présence de l’exil, que l’on approche le mieux, sur le vif, les forces obscures d’un homme et d’une œuvre qui cherchèrent sans relâche à « s’approprier le jouir féminin ». L’auteur tente de « déchiffrer une légende », avec la délicatesse et le trouble de celui qui l’a fréquenté et admiré. Quand il peint, Molinier « dispose en noir sur la toile des ténèbres intimes dont les vibrations font surgir une figure féminine », écrit Abeille. Quand il fait de la photo, « il projette dans la chambre noire des vibrations de sa propre chair féminisée. » Transgressif, obsessionnel, affreusement libre, Molinier était aussi un homme seul, un grand meurtri, rappelle Abeille, « comme tous ceux, rares, qui souffrent sans répit des scandaleuses limites de l’humaine condition ». Molinier eut la folie d’exprimer tous ses désirs et de les vivre.

* À Paris, À l’enseigne des Oudin jusqu’au 11/11 (rens. 01.42.71.83.65). À Bordeaux, Musée des beaux-arts jusqu’au 20/11 ; Théâtre du Pont-Tournant jusqu’au 15/10 (rens. 05.56.11.06.11) ; Glob théâtre du 18 au 22/10 (rens. 05.56.69.06.66).

Le gouffre Molinier Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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