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Poésie Renverse du souffle

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Emmanuel Laugier

Mort en 1965, le poète est-allemand Johannes Bobrowski laisse une œuvre aux dimensions très européennes, entre sensation immédiate et conscience historique.

Johannes Bobrowski, dont Jean-Claude Schneider traduisit les premiers poèmes en 1969, et à qui l’on doit aujourd’hui la disponibilité en français de son œuvre, ne fut pas seulement européen parce qu’il résista aux pressions d’une poésie au service du pouvoir de l’Allemagne démocratique, ni parce qu’il crut devoir chanter celle que l’on disait libre. Sa conscience européenne est moins schématique. Se tenant hors des clichés démonstratifs, il faudrait plutôt l’enraciner dans tout l’héritage des Lumières naissantes. L’entendre même se formuler, à même ses poèmes, dans l’entrecroisement savant des mémoires, des lieux, des espaces où circulèrent tant de langues et d’accents, tant de peuples, soit aussi des formes toniques d’accentuations ou d’inflexions, pour, à la fin, dessiner des géographies aussi physiques que mentales. En somme, quelque chose d’une intensité de pensée où la transitivité côtoie l’altérité sans la contraindre et l’effacer. Sans doute est-ce là le pont le plus audacieux qu’essaient de construire la poésie, et celle de Bobrowski, en particulier dans les poèmes à la narration tournoyante de Temps sarmate (1952-1960).
Né en 1917 en Prusse orientale dans la ville de Tilsit (rebaptisée en 1945 Sowietsk), dans une région aux territoires incertains, anciennement nommée la Sarmatie, Bobrowski ne sépara jamais sa conscience politique d’un chant, sobre et retenu, de la nature. Les lieux de cette Europe millénaire, poreuse, passante, ouverte, dont Kleist condensa à l’avance le drame de fermeture dans son Michael Kohlhaas, Bobrowski les nomme, notamment dans Terre d’ombres fleuves, par le peuple tsigane, et c’est une tout autre force que seulement commémorative qui apparaît ici : « Années,/ fils d’araignée ;/ les grosses araignées, années / les tziganes ont suivi/ avec leurs chevaux le sentier d’argile. Le vieux Gitan/ est venu avec son fouet, les femmes/ se tenaient à la porte de la cour, bavardant,/ dans leurs bras repliés/ la poignée de bonheur./ Plus tard on ne les a plus vus./ C’est que les étrangleurs sont venus avec leurs yeux/ de plomb. Une fois, la vieille/ en haut sous le toit/ a demandé des nouvelles des disparus ».
Le poids de l’Histoire que vécut Bobroswki, d’abord mobilisé comme simple soldat en France en 39, puis sur le front de l’Est où il fut fait prisonnier (en captivité en Russie il travailla à la mine dans le bassin du Donetz), s’infiltre ainsi partout, même lorsque le ciel est empreint d’une « bleuité », il y a là « une raie rouge,/ une trace/ de rouge, c’est, écrit-il, nous seuls/ entre vert et bleu,/ ciel et terre, quand as-tu dit :/« Volent les ombres (…) » » et plus loin un « pas de bleuité » rendra la tempe des amants presque froide. Comme l’a écrit le poète et traducteur Jean-Yves Masson, Bobrowski est l’un « des poètes de l’après-guerre qui ont le moins rejeté le passé allemand, revenant au contraire aux sources d’un XVIIIe siècle universaliste soucieux de définir et de maîtriser l’articulation entre nature et culture ». C’est certainement là que le lien avec le dernier Hölderlin serait à penser, l’un et l’autre n’isolant pas ce qui peut faire aura dans le simple lieu (le vent, les arbres, les fleuves sont figures récurrentes chez Bobrowski) du danger croissant d’une terre repliée sur ses mythes. L’éveil est ainsi chez Bobrowski alliage savant entre sensation immédiate et conscience historique, ce que reflète, l’air de rien, des poèmes aux vers concis, chantant au ras, sans élever la voix : « je ne suis pas ici./ Je cherche un lieu,/ pas plus large qu’une tombe, le petit mont/ au-dessus des prairies. De là/ je peux la voir,/ la rivière. »

Johannes Bobrowski
Temps sarmate
et Terre d’ombres fleuves
Traduits de l’allemand par Jean-Claude Schneider
(éditions bilingues)
Atelier La Feugraie
176 p., 16 chacun

Renverse du souffle Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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