Fin XVIIIe, Venise. Nous sommes en compagnie d’un jeune Autrichien qui sous la coupe d’un domestique perfide, y rencontre des femmes. C’est en fait moins l’intrigue qui importe que ce glissement continuel éprouvé par le jeune Andréas entre les possibilités d’un réel jamais univoque, mais bigarré et constamment diffracté par la trajectoire de l’amour, du faux-semblant, de l’abandon et de la mort. Le sujet véritable, c’est peut-être Venise, la déroutante, que l’art illusionniste de Hofmannsthal déplie dans ses dimensions tout autant d’épiphanie inépuisable que de déguisement fuyant ou de mystère à décrypter. Entre onirisme fascinant et réalité inquiétante, le thème du double (des êtres, des lieux et de soi) vient d’ailleurs hanter le récit et brouiller les perspectives : « C’était un va-et-vient, sur la trame duquel se tissait un monde qui était derrière le monde réel, mais moins vain et moins désolé que lui ». Dans ce monde démultiplié, où parfois « c’est l’infini qui l’effleure », Andréas, inlassablement en quête du « bonheur de vivre », trouve de quoi y déployer sa profondeur. Quitte à pressentir avec effroi qu’on ne bute toujours que sur soi-même.
Dans ce recueil de récits, enchanteurs dans leur inachèvement même, on retrouvera les hantises et les obsessions chères à l’auteur viennois, mort en 1929 et connu pour sa Lettre de Lord Chandos (1902) ou son conte La Femme sans ombre (1919).
Andréas et autres récits
d’Hugo von Hofmannsthal
Traduit de l’allemand par Eugène Badoux et Magda Michel, préface d’Henri Thomas,
Gallimard, « L’imaginaire », 265 pages, 6,90 €
Domaine étranger Le réel est son double
janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69
| par
Sophie Deltin
Un livre
Le réel est son double
Par
Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°69
, janvier 2006.