Sigila N°17
Le secret, la dissimulation, pratiqués par toutes les civilisations ? Mieux, Jean-Pierre Cavaillé le révèle dans la préface de ce nouveau numéro de Sigila consacré à « En cachette » : « le secret est la condition même de possibilité de la vie sociale. » Transdisciplinaire, le semestriel franco-portugais présente dans sa thématique des interventions riches et variées. En psychanalyste, Marie-Antoinette Descargues-Wéry démontre à travers le film de Truffaut, Les 400 Coups et celui plus récent d’Abdellatif Kechiche, L’Esquive, comment le mensonge permet aux jeunes « une place autre ». « Le caché, mais aussi bien le montré réalisent à l’adolescence de véritables opérations mentales qui œuvrent à l’autonomisation de l’adolescent et à sa reconnaissance par les autres. » Mais mentir peut aussi bouleverser des vies. Louis Aragon n’apprendra la vérité sur ses origines qu’au moment de partir au front en 1918. Élevé par sa grand-mère présentée comme sa vraie mère, ses deux tantes et son oncle lui étaient désignés comme sœurs et frère. D’où l’intérêt de l’écrivain pour le mentir-vrai et l’utilisation de maints pseudonymes. « Aragonismes » que Georges Aillaud, ingénieur en sciences appliquées, énonce ici avec bonheur. Autant de verve, chez le psychiatre Claude Léger qui évoque le sulfureux Marquis de Sade. Expliquant que si l’homme fut souvent mis au secret, il demeure transparent, son seul secret résidant dans son caractère irréductible. En conclusion, le praticien s’interroge « si l’économie libidinale de l’homme contemporain n’a pas assimilé le »sado-masochisme« comme un mode de jouissance, une tendance sur le marché des mœurs. »
Les cabinets de curiosités ont eux aussi souvent provoqué des cris d’orfraie. Il est d’ailleurs intéressant de recenser leurs périodes d’ouverture, témoignant de la tolérance des gouvernants. Véronique Bruez a étudié le cabinet secret du musée archéologique de Naples, baptisé cabinet des objets obscènes, renfermant des objets d’usage quotidien provenant des fouilles de Pompéi et d’Herculanum, regroupés sous la mention de « raccolta pornografica ». Cette certifiée de lettres classiques relativise le caractère immoral, le goût pornographique des Pompéiens. « Certes, cette collection de phallus dressés, ce surgissement soudain de sexes projetés, a dû être déconcertante pour ses découvreurs ! Elle ne dit peut-être que le souci d’une civilisation religieuse hantée par la peur de l’impuissance et qui proclame son esthétique de la jouissance, dans un cadre hédonique et ludique. » Plus grave et dénonciateur des dérives totalitaires contemporaines l’article de Cécile Rastoin. Elle évoque l’histoire de la torture à travers les âges et met en garde contre le panopticon, « la prison idéale où tout détenu est vu et ne voit personne, où le gardien, depuis la tour centrale, voit tous les détenus et n’est vu par aucun. » Métaphore pertinente de notre société…
Sigila N°17, 243 p., 16 € (21, rue Saint-Médard 75005 Paris)