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Domaine étranger American fiasco

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Anthony Dufraisse

Implacable diagnostic sur l’Amérique des années 80, alimenté par une logorrhée monologique, « Gothique Charpentier » confirme en William Gaddis un écrivain formidablement complexe.

Dans l’ordre d’apparition, il y a tout d’abord Elizabeth, dont le diminutif Liz laisserait à penser qu’elle est une femme lisse, quand elle est bien plutôt psychologiquement instable. Viennent ensuite Billy, frère sans le sou, baba sur les bords et pique-assiette comme le sont tous les karmas impécunieux ; Paul, le mari, Sudiste caractériel, revient-en-guerre du Vietnam et reconverti au débotté dans la communication politique ; McCandless, l’amant, que les troublantes activités font un personnage à personnalités multiples. Et tout ce petit monde, auquel s’ajoutent force figurants, s’agite dans un huis clos tendance imbroglio, sur fond sonore mixant téléphone, télévision et radio. Ici on gigote beaucoup, on ergote à tout propos et tout cela ne va pas sans confusion, laquelle d’ailleurs ne sera jamais dissipée. Pour un peu, on croirait là le synopsis de quelque représentation légère jouée sur les Grands Boulevards parisiens. Nous en sommes très loin.
William Gaddis (1922-1998) n’est pas un Guitry américain et Gothique Charpentier n’a rien d’un vaudeville petit-bourgeois. L’enjeu et l’échelle sont tout autres. Si le livre est bel et bien une pièce, ce n’est pas celle qu’on croit. C’est une pièce à conviction contre l’Amérique d’alors, celle des années 80, mais sur bien des plans, c’est encore celle que nous connaissons aujourd’hui (d’où l’actualité de ce livre). Quand, à l’approche de la soixantaine, Gaddis publie ce livre, le public américain qui jusqu’alors l’a plutôt boudé, paraît enfin intéressé. Le ton imprécatoire, sans doute, l’aura réveillé. Dans cette chronique en pointillé de l’Amérique (disons reaganienne), il entre effectivement une bonne part de réquisitoire. Réquisitoire contre « le créationnisme scientifique de bric et de broc », contre l’évangélisme vibrionnant d’un certain fondamentalisme chrétien, contre un ségrégationnisme larvé, contre l’imposture médiatique, contre la judiciarisation des rapports sociaux autant d’excès, de dérives, dont l’Amérique est le miroir et à bien des égards le laboratoire. Sans doute Gaddis n’est-il pas le premier écrivain américain à vitupérer copieusement les sacro-saintes lubies de l’Oncle Sam. Mais il en montre les collusions, les complicités et l’horizon mental commun ; il montre comment elles se conçoivent en réseau. Gaddis a compris, mieux que quiconque peut-être, certaines mutations de la société américaine au tournant des eighties. Il a compris que pour décrypter la complexe réalité américaine, besoin était de multiplier les points d’attaques. À travers quelques personnages-leviers en lesquels l’Amérique s’incarne et se reconnaît, il souligne les rapprochements inédits (par exemple, entre les médias et la religion), les alliances inattendues (les fondamentalismes divers qui se nourrissent mutuellement pour accroître leur audience), mais aussi et surtout comment tout cela fait système. Bref, il peint « le tableau d’ensemble » d’un « bon dieu de pays qui va à vau-l’eau », le fiasco n’étant jamais que la version soft du chaos.
Le réquisitoire qui trame ce livre, comme d’autres précédemment de Gaddis (JR, Le Dernier Acte, Agonie d’Agapè) n’est pas, loin s’en faut, l’unique intérêt. On peut, de ce livre paru en 1985, faire d’autres lectures, au moins deux. L’une, intertextuelle, nous montrerait le réseau (encore un) quasi encyclopédique de références dans lequel Gaddis importe, emboîte et exploite scénarios et schèmes de la littérature d’outre-Atlantique. Par-là s’explique d’ailleurs le sens profond du titre. Car, en architecture, le style gothique charpentier, celui de cette vieille maison sise en bordure de l’Hudson où se déroule tout le livre, suggère l’idée d’emprunt, d’assemblage et aussi d’imitation (en l’espèce de l’esprit victorien). Or ce livre est très exactement une mosaïque de paradigmes. Conte gothique, satire sociale, roman colonial ou encore thriller politique s’encastrent tel un jeu de cubes. Paradoxalement donc, le huis clos repose sur une structure textuellement grande ouverte sur la Bibliothèque. Une autre lecture, disons plus stylistique, montrerait que la logorrhée monologique, en quoi se constitue ce livre aux troisquarts, est devenue le seul mode de communication des individus, qui n’échangent pas mais s’écoutent parler le babil, autisme des bien-portants. De là le style de Gaddis ; la parole se déverse en un flux verbeux continuel (d’où la difficulté de placer des citations nettes dans le cours de cet article), où voisinent, à l’intérieur d’une syntaxe déstructurée, onomatopées, pépiements et réflexions de haute volée. Il faut ici saluer la traduction de Marc Cholodenko qui a su redonner ce texte dense et disparate, avec ses 400 pages de lourdeurs et d’élans, avec son lyrisme labile et bilieux. Et ceci dit, tout n’est pas encore dit. Car c’est la force d’un livre comme celui-ci d’ouvrir, d’offrir à l’interprétation un champ inépuisable. Mais sans doute en avons-nous dit assez pour donner une idée de l’importance d’un écrivain que n’aura jamais tenté la facilité d’un monde binaire, la commodité du noir et blanc. Dans sa composition et dans son propos, ce livre prouve, s’il fallait encore, que Gaddis est un écrivain de la complexité.

Gothique Charpentier
William Gaddis
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Cholodenko
Christian Bourgois éditeur
349 pages, 8

American fiasco Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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