La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Respirer la poésie

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Marta Krol

Le second volet d’un recueil en diptyque de Christophe Lamiot Enos porte le quotidien à l’écriture plutôt que l’inverse, avec une maturité lucide et non résignée.

Albany : Des pommes et des oranges, Californie vol. 2

On désespérait déjà de lire sous la plume d’un auteur n’ayant point l’âge d’être grand-père (né en 1962) des poèmes de cette espèce. Écrits dans une langue maîtrisée, qui fait corps avec le réel, ils aspirent à dire le monde le nôtre, l’ordinaire, le moderne plutôt qu’à faire advenir l’informe. On ne saurait pour autant faire porter à Christophe Lamiot Enos le flambeau de Jaccottet ou de Bonnefoy ; on y perçoit le climat d’une poésie américaine, précise, concise et distante mais non intellectuelle ; on reçoit une parole neuve.
Ce qui la nourrit, c’est le pays parangon de la modernité, où la vie est endiguée par des infrastructures et équipements confortables, payants, fréquentés par le plus grand nombre, et dont la présence n’entraîne nullement, pour une fois, une aliénation dans la solitude. Le moment créatif n’est pas, pour Lamiot Enos, soumis à la contrainte d’un paysage « naturel » loin des lumières du monde. Voilà une forme de réponse à l’inquiétude de Bonnefoy, et de tant d’autres, sur la possibilité de faire émerger de la poésie d’une langue empreinte de vocables techniques. Le rôle du poète n’est-il pas, dans le milieu même que nous devons subir, de faire entendre une parole qui le prenne en charge, qui tente une herméneutique de ce fouillis de signes abscons, afin de permettre d’y vivre ? D’autant que l’environnement ultra technique n’empêche pas l’attention au détail. La poésie de Lamiot Enos est totalement figurative : « Dans le creux// du boîtier, très fin/ un pétale de fleur a/ séché. Un anneau à une chaîne mince peut// au cou le porter, suspendu », sans jamais frôler un fétichisme de la « chose humble » devenue, comme l’a justement remarqué Nathalie Quintane 1, la nouvelle doxa de la poésie « lyrique » de nos jours.
Albany vient précisément nuancer une opposition entre les Lyriques, Couillons vendus à l’affect et frisant un sulpicianisme à tendance écolo-humanitaire, et les Formalistes, Monstres de la pensée, dévoués à une écriture objective et désaffublée. Rien ne sert de traquer dans les poèmes de C.L.E. une quelconque envolée lyrique. Son art, dans la lignée des grands poètes de la vie Eliot, Heaney, Milosz, Brodski, Venclova se refuse à l’obscénité que serait servir d’exutoire à l’émotion. Avec précision et retenue, dans une langue capable et travaillée jusqu’à l’épure, se plaçant sur un registre du concret et sans chercher à compenser par des saillies métaphysiques, le poète rend compte du monde. « Dans/ Les tentes, de la bière se vend/ pour toi, pour moi, pour des gens beaucoup :/ quelques dollars qu’on donne et qu’on prend/ entre les doigts, debout. »
Lamiot Enos sait éviter les dangers de dramatisation, de cucuterie, ou de pose bouddhiste façon occidentale. Le sujet, oui, le sujet existe sans complexe, et semble autrement plus discret que ses charpies dramatiquement disloquées dans certains manifestes de la modernité. L’auteur n’hésite pas à user d’images, et la métaphore est de mise. La maîtrise formelle de la métrique (enjambées exactes, rimes ou vraies assonances alternées, laisses régulières) aide l’auteur à poser sa voix, qui résonne ample, tranquille, souvent drôle, traduisant le banal urbain vers le matériau poétique.
Car il s’agit bien ici d’une patiente œuvre de traduction, ou de transcription, d’entités choisies dans l’ordre spatio-temporel marcher dans la rue, rejoindre au lit sa compagne, rouler sur une autoroute, vers un ordre langagier et créateur. Non pas les raconter, encore moins les commenter, mais les traduire en poésie, dans une saisie brève, neuve, sûre. On saluera la manière d’aborder la chose érotique, aussi éloignée de la mignardise que de la provocation, avec le détail savamment mesuré : « Sur la table fraie/ Ta peau fort bronzée, lisse, celle qui sur ta cuisse/ Avec l’autre cuisse coulisse. »
Toute la banalité bien connue est là, sans grimage, mais sans complaisance non plus dans un quotidien gris et désespéré. Chez Lamiot Enos, nulle naïveté, nul cynisme, et nulle volonté d’évasion dans une transcendance ; mais une maturité lucide et non résignée.
Bref, la vie est partout et la poésie pousse sur elle ce en quoi il y a bien dans Albany quelque chose d’américain, une sereine confiance en le présent rassurant. Au point que, quelquefois, dans cet univers léger, aérien, quasi ludique, plein de voyelles et de monosyllabes, on s’attend en vain à tomber sur une dissonance, et dans la voix du poète à distinguer le bref étranglement d’une interrogation sans réponse. Mais C.L.E. n’interroge, dans ce livre, rien d’autre que son expérience (rendue) positive de l’existence ce qui est, aussi, nouveau. Il est mu par le désir de la dire, sans se draper dans une vertu de visionnaire et sans se priver d’effets plaisants ; de donner une forme pérenne à ce qui afflue et passe sans que nous l’ayons voulu ni dessiné. Ce qui est dit, gagne en force, écrit quelque part Cz. Milosz, et ce qui n’est pas dit, tend vers le néant. L’écriture d’Albany semble bien obéir à une telle conviction, tellement elle est empreinte d’un assentiment à ce qui est.

1 Sur www.sitaudis.com, « Monstres et Couillons, la partition du champ poétique contemporain ».

Albany. Des pommes
et des oranges,
Californie II

Christophe Lamiot Enos
Flammarion, 241 p., 19,50

Respirer la poésie Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
4,00