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Poésie Cummings en guerre

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Anthony Dufraisse

En marge de la Grande Guerre s’en joue une autre, celle, permanente, que livre le système contre l’individu. Le poète américain s’en fait le greffier fantaisiste.

Peu de livres constituent un témoignage aussi décalé sur la Grande Guerre. Rappelons les faits : nous sommes en 1917 et Cummings joue les ambulanciers sur le front. On ne lui a rien demandé et pourtant il s’est porté volontaire par amour des Français belle âme que voilà. Il a quitté son paisible Massachusetts pour la boue des tranchées belle promotion. Pour d’obscures raisons cependant, il se retrouve à l’ombre. Engagé volontaire comme lui, son compatriote et ami Slater Brown aurait écrit des lettres qui semble-t-il heurtent la sensibilité de la censure française. Par esprit de camaraderie Cummings fait bloc belle âme, vraiment. Le voilà donc reclus de septembre à décembre 1917 dans un centre de triage de l’Orne. Doux euphémisme administratif pour désigner La Ferté qui, loin d’être un camp de concentration à l’allemande, n’a rien non plus d’un centre aéré. Y sont parqués des « suspects de toute espèce, en attendant qu’une commission décide de leur culpabilité ». On remarquera la formule : en temps de guerre la justice française mène des procès à charge.
Cummings (1894-1962) raconte donc ce séjour de trois mois derrière les barreaux, une aventure humaine à l’en croire qui le conduit, sinon à fraterniser, à frayer tout au moins avec « une soixantaine d’hommes occupés à souffrir en commun ». Presque tous ses camarades d’infortune sont étrangers. Tous ou presque sont enfermés pour de mauvaises raisons, espions qui n’en ont pas l’étoffe mais la physionomie. Délit de faciès, déjà. Tous sont lotis à la même enseigne dans cette énorme chambrée qui leur sert de dortoir. Cummings aurait pu décrire cet univers avec une sinistre délectation. Il n’en sera rien ; point de sordide ici. Si le tableau est dur, car rudes sont évidemment les conditions de vie en ce lieu, jamais il n’est peint pour susciter l’apitoiement. Cette fresque est loufoque, d’une drôlerie acérée : Ubu n’est pas loin, Kafka non plus. Quant à la langue de Cummings, elle est formidablement inventive, ourlée de trouvailles et de tournures biscornues.
« Je me limite à indiquer ce qui m’a particulièrement intéressé au cours de mon séjour à La Ferté ». Modeste Cummings. Il a bien trop de talent pour que l’observation ne se mue pas, aussi, en méditation. Et d’abord sur l’être humain : « Lorsque ce livre s’est écrit, lit-on sous sa plume en 1932, j’observais un fragment négligeable d’une chose incroyablement plus lointaine que tout soleil ; une chose plus inimaginablement énorme que le plus prodigieux des univers : l’individu ». Voyez un peu le genre d’individu : il y a, d’un côté, les détenus, belle brochette de loufiats, Internationale loufdingue. De l’autre, ceux qui les surveillent, représentants de la Loi et de l’Etat. Les premiers ont en commun d’être assez attachants. Quant aux seconds, s’ils échappent à la pluie d’obus du front, ils se régalent de l’abus de pouvoir. Cummings excelle à peindre tout ce petit monde, même si, parfois, il met trop de zèle dans sa caricature. Entre ces quatre murs, on eût pu continuellement s’étriper, après tout c’eût été logique. Mais la boucherie est au front, ici on tâche bien plutôt de fraterniser. Autant que faire se peut, ce n’est pas toujours possible. Tel prisonnier sera d’emblée pacifique, l’expérience carcérale poussant à se chercher des alliés. Tel autre se durcit tout au contraire, les forts en gueule souffrant moins, n’est-ce pas, de faire souffrir plus faibles qu’eux. Les portraits que brosse Cummings, certains pathétiques, certains tordants, constituent autant d’éloges de la singularité. Mais pour ceux qui placent une confiance spontanée dans un humanisme carcéral, ce récit de Cummings est assez cruel. Si Marx appelait naguère tous les prolétaires à s’unir, ce communisme taulard n’aura jamais lieu. C’est la force, si l’on peut dire, de tout système de monter les uns contre les autres. Qu’on le sache, la musique de chambrée n’adoucit pas les mœurs. Mais bons ou mauvais, franchement innocents ou vaguement coupables, tous les hommes ont le droit d’être défendus. Cummings, ici, s’improvise leur avocat.

L’Énorme
chambrée

E.E Cummings
Traduit de l’américain par D. Jon Grossman
Christian Bourgois, « Titres »
393 pages, 8

Cummings en guerre Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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