En désignant le héros comme narrateur de sa propre histoire, Arnaud Cathrine approche de très près les états d’âme de Sylvain, 12 ans, doux rêveur entreprenant et très organisé. L’adolescence ne viendra qu’exacerber sa vie affective qu’il met dès lors au premier plan. Dans les quatre chapitres qui composent ce roman, il écrit des lettres aux deux filles dont il tombe successivement amoureux, Mahalia et Camille. Il leur confie ses émotions, son envie d’être auprès d’elles, une envie tellement irrépressible qu’il se prépare à aller vivre chez leurs parents. Exit le ton mielleux ou doucereux, Sylvain est un garçon franc du collier et pragmatique. Il aborde la question sentimentale avec une approche quasi mathématique (les tests préliminaires doivent être concluants) avant de s’engager. Il consulte Internet pour se documenter. Il n’entend pas se morfondre pendant sa crise d’adolescence. Il souhaite la vivre le plus sereinement possible, sans trop souffrir, si c’est possible. Et comme l’amour lui plaît beaucoup, il compte en profiter pleinement. « Je vis sous le signe de l’amour depuis ma naissance (…) l’amour passe avant tout. » Il s’apprête donc à quitter sa maison pour rejoindre Mahalia. Mais ce premier départ est contrarié par l’accident de son petit frère Martin, 8 ans, qui un jour a cessé de marcher. « Martin,/ Fuck./ Sylvain », lui écrit-il. Suit une lettre plus généreuse encore en virulence à l’égard de son petit frère « fouille-merde » qui a subtilisé la lettre d’adieu qu’il a rédigée à l’attention de ses parents et dans laquelle il explique ses motivations de départ. Et tombe le masque, Sylvain apparaît mi ange, mi démon. « Martin a levé les yeux vers moi. Nos regards se sont croisés. Il n’y avait aucune accusation de sa part. Juste du désespoir. Mon cœur s’est serré. Je me suis dit : Sylvain tu es un monstre. J’ai couru dans ma chambre et je me suis effondré en larmes. » Le malaise de l’adolescent n’est pas systématiquement montré mais parfois adroitement amené par l’incursion de tournures de phrases aux accents enfantins dans le cours d’une réflexion empreinte de maturité. Un anachronisme qui prête à sourire tout comme lorsque Sylvain se donne du mal pour apparaître toujours sincère et le plus « honnête » possible… jusque dans ses mensonges sentimentaux. On se prend alors à douter, à s’interroger sur cette correspondance unilatérale. Sylvain envoie-t-il ses lettres ? Mahalia et Camille existent-elles vraiment dans la vie de Sylvain ? Une lettre a-t-elle été volée ? L’adolescent n’est-il pas un peu manipulateur ?
Sylvain apparaît aussi comme un ado amoureux de l’amour et qui aborde les choses comme il peut et plutôt du bon côté. « L’amour donc. C’est une drôle de chose, l’amour, n’est-ce pas ? Si je devais être honnête, mais vraiment honnête, je dirais, (…) : je veux vivre avec Mahalia, je ne pense plus qu’à ça, je ne veux rien d’autre que ça. » La fulgurance et aussi l’intensité de ses émotions sont habilement traduites dans ces lettres parfois frontales aux tonalités diverses selon les destinataires auxquels elles s’adressent. C’est cette variété de tonalités qui révèle la personnalité certes complexe du jeune adolescent mais qui préfigure aussi un jeune homme en devenir, lumineux.
Nous ne
grandirons
pas ensemble
Arnaud Cathrine
L’École des loisirs, « Neuf », 7,50 €
Jeunesse Vive la crise
septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76
| par
Malika Person
Avec « Nous ne grandirons pas ensemble », Arnaud Cathrine fait affleurer le joyeux remue-ménage qu’engendre le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Un livre
Vive la crise
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°76
, septembre 2006.