Après deux essais consacrés à la littérature (l’un sur le roman, l’autre évoquant une expérience vécue dans un IUFM), Jean-Claude Montel revient à la veine narrative, avec laquelle il s’était illustré dans les années 1970 (notamment par Melencolia).
Impossible de réduire Ève à une formule. Ses premières pages évoquent Freid (avatar de Freud ?) qui changeait chaque jour de vêtements afin de ne pas se ressembler, qui était capable de suivre pendant des heures la progression d’un chantier et savait « comment maintenir l’équilibre entre le mouvement et l’immobilité ». Depuis sa mort, pour le narrateur tout a changé : « ce qu’il reste encore de visible est infime ». Les déplacements qu’il effectue chaque jour dans une ville qu’aucun détail ne permet d’identifier l’emmènent bien sûr à la supérette du coin, mais les trajets lui sont surtout l’occasion de consigner tout ce qui a disparu, mais sans émotion, sans pathos, comme si tout s’était joué il y a déjà fort longtemps. Tout au plus parvient-on à le sentir désabusé.
Pour survivre, il s’efforce de maintenir Freid en vie, quand il ne passe quelque temps avec l’une des trois femmes qui gravitent autour de lui et auxquelles il se connecte grâce à une tuyauterie complexe. Des créatures un rien étranges : Agathe « s’endort avec les boules et un masque jusqu’au lendemain soir » ; quant à Ève, qui vit dans une bulle translucide entourée de tubes fluorescents, elle a des lampes bleu et rouge qui clignotent à la pointe des seins.
Ce récit ne se laisse guère empoigner par son intrigue : on glisse d’une situation à telle autre au fil de pages essentiellement soutenues par une langue qui se bonifie phrase après phrase. Une langue qui charrie une lourdeur jamais dite mais perceptible sous chaque mot : celle de devoir être encore là.
Ève de Jean-Claude Montel, Comp’Act, 80 pages, 12 €
Domaine français Post mortem
septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76
| par
Didier Garcia
Un livre
Post mortem
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°76
, septembre 2006.