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Jeunesse D’un monde à l’autre

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Malika Person

Louise vit difficilement la transition de l’enfance à l’adolescence. Une tragi-comédie humaine où la figure symbolique de l’ours joue un rôle central.

Comment se laisser glisser vers l’inconnu, passer d’un monde à un autre ? Pas facile de grandir pour Louise, 11 ans, vivant avec son père Ian et sa sœur aînée Elinor. Au début de cette pièce de théâtre à quatre personnages, ce passage à la pré-adolescence est symbolisé par une autoroute que la jeune fille doit traverser avec son père par une nuit d’hiver, pour rejoindre leur maison.
Dans le premier des 28 chapitres qui composent ce récit, Ian décrit leur situation : « Au bord du trottoir (…) ils attendent que le flot cesse, que la main rouge disparaisse en lançant son compte à rebours lumineux, walk, don’t walk, muette, ils traversent la quatre voies, lui et elles en une seule fois. » Cette phrase-clé détermine la problématique de la pièce, autrement dit, décrire le processus douloureux du deuil à l’enfance.
C’est à ce moment crucial, au bord de la route, que la jeune fille a sa première vision : celle d’un ours transparent qui se tient derrière elle et qui la suit, tel son ange gardien. Le choix de cet animal n’est pas fortuit, bien entendu. Outre le fait qu’il est protégé dans les parcs naturels de l’Alberta, la province canadienne où vivent Louise et sa famille, il n’échappe pas au lecteur que la figure de l’ursidé est aussi rattachée au monde enfantin, à l’ours en peluche, au doudou protecteur, objet transitionnel par excellence.
La porosité entre la réalité et le monde imaginaire fait basculer le texte dans une dimension fantastique, dans une atmosphère étrange, proche de l’irrationnel. Face à cette situation complexe, Louise ritualise de manière quasi chamanique ce changement capital et irréversible qui s’opère dans sa vie. Ce qu’elle tire de son imagination (l’apparition d’ours transparents sans cesse plus nombreux derrière chaque humain) est appliqué à la réalité. Lorsqu’elle parle aux ours, elle n’emploie qu’un seul mot, un cri de ralliement « Kakayak » dont la première syllabe évoque clairement un état régressif qui se prolonge durant des semaines.
Le lecteur se trouve être sur le fil du rasoir hésitant à croire, à l’instar d’Elinor, que Louise devient « tarée » ou à suivre Ian, père intuitif, qui écoute les histoires de plus en plus étranges et inquiétantes de sa cadette avec intérêt et se prend au jeu de parler aux ours qu’il ne voit pas : « ça (le) fait rêver ».
L’auteur joue sur le caractère ambigu des personnages confrontés à une situation inédite qui leur impose des remises en question tout au long de l’histoire, créant des doutes qui parasitent leur vie, révélant leur part sombre.
L’ambiguïté se retrouve jusque dans la structure de la pièce organisée en chapitres et non en actes et aussi dans la présentation du titre de couverture (Louise les ours) où le rapport hiérarchique entre les termes n’est pas signifié, alors que sur la page de titre apparaît une barre oblique (Louise/les ours), qui désigne à la fois un rapport, une opposition ou une séparation. Ces partis pris de Karin Serres visent vraisemblablement à brouiller le (bon) lecteur, à le forcer à une lecture intuitive, lui rendant lisible les sensations, les émotions de Louise dans cette expérience radicale. L’auteur crée sciemment une lecture inconfortable, énigmatique, prompte à susciter des questionnements et à maintenir par ailleurs un suspense sans cesse grandissant. Parallèlement, la dramaturge a su donner à sa pièce une dimension comique en jouant sur l’accent canadien, adjoignant au texte français des mots anglais et des « tics » de langage propres à ces Américains francophones, allant jusqu’à caricaturer Bob Prescott, de la milice anti-ours, faisant de ce personnage terrifiant un être improbable, le réduisant purement et simplement à l’évanouissement. Une disparition qui provoquera un ultime coup de théâtre…

Louise/les ours
Karin Serres
L’École des loisirs, « Théâtre »
64 pages, 6,50

D’un monde à l’autre Par Malika Person
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.