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Des plans sur la moquette Favorite disaster

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Jacques Serena

D’abord, j’ai fini par me décider à m’éloigner de ma compagne, après assez de mal, trop d’hésitations, pas mal d’années. Et une fois réfugié dans mon T2 pratiquement vide avec mes réserves de thon au naturel et mes livres, je suis retombé sur un long monologue de Sarah Kane, avec sa litanie des « J’aurais voulu ». Alors, l’envie m’est venue de lire à haute voix ce monologue au début de mes prochains ateliers d’écriture, et de demander à mes troupes de reprendre la forme, l’intention, mais bien sûr de chercher à dire ce qu’ils auraient, eux, voulu, au moment de l’adieu. Adieu à la compagne ou au compagnon, adieu à la famille, au groupe, adieu au lycée, adieu à la vie, peu importait, c’était leur affaire. Ensuite, après les lectures successives de tous ces textes, lectures investies, fiévreuses et contagieuses, m’est venue l’envie irrépressible de m’y coller moi. Enfin, à la lecture de ce qui m’était venu, m’a sauté aux yeux l’évidence, souvent constatée, que, quand on était allé bien au fond de moi, on était allé bien au fond d’une espèce de lieu commun à toute l’humanité souffrante, autrement dit du pathétique et risible et sempiternel lot de ces pauvres bestioles de nous. Comme une des étapes obligée dans la ronde des désirs et des désolations, on pourrait dire. Bien sûr, quand on dit ça, comme je le dis, on espère toujours, au fond, se tromper, être détrompé, mais, très franchement, moi, là, je n’espère plus trop. Ce qui m’est venu, je vais le livrer, pour rire, et je parierai gros que c’est ça, comme ça, pour tous, et même toutes, comme pour moi, à peu de choses près. Si peu de choses près.
J’aurais voulu que les nuits où j’étais seul dans une ville loin et que je ne pouvais pas m’empêcher de l’appeler au téléphone elle me réponde par autre chose que l’heure qu’il était. J’aurais voulu que pendant nos ébats ou débats (comme disait Casanova) sur le matelas elle veuille se prêter au jeu même quand ce n’était pas de son initiative. J’aurais voulu que les soirs quand on rentrait tard du cinéma ou d’un bar ou d’un resto elle soit comme moi pressée de se jeter sur le matelas au lieu d’aller s’occuper du linge, du lave-vaisselle, de passer une demi-heure dans la salle de bains. J’aurais voulu qu’au moins une nuit au cours de toutes ces nuits ensemble ce soit elle qui me réveille par envie de moi. J’aurais voulu qu’elle n’ait pas toujours quelque chose de plus urgent à faire quand j’avais quelque chose à lui dire. J’aurais voulu qu’elle me parle, qu’elle prenne, elle, de temps en temps l’initiative d’une véritable discussion, autre que sur les courses pour le soir, son compte en débit ou le ciel qui se couvre. J’aurais voulu qu’elle soit attendrie par mes objets, qu’ils l’émeuvent, qu’elle les aime et les respecte, comme moi j’ai toujours vénéré et été attendri par les siens. J’aurais voulu qu’elle me donne un surnom secret comme moi je lui en ai donné beaucoup, comme par exemple sirène. J’aurais voulu qu’elle collectionne les photos de moi à tous les âges et les regarde de temps en temps, comme moi je garde précieusement chaque photo d’elle à tous les âges qui me sont tombées sous la main et les contemple plusieurs fois par mois, avec des préférences qui varient, longtemps je suis resté bloqué sur celle étrange où elle a treize ans, en vacances estivales, et pousse un vélo, entièrement nue à part un bandeau sur la tête, alors que ses amis autour d’elle sont tous habillés. J’aurais voulu qu’un jour elle pense à prendre en considération les circonstances et ma propre condition pas facile d’auteur chasseur de primes, au lieu d’uniquement se plaindre de la situation et de m’en juger coupable, de me condamner sans appel. J’aurais voulu qu’elle s’intéresse à moi, à mes problèmes, tourments, désirs, qu’un soir, d’entre tous nos soirs, elle me pose des questions sur mon moral, sur moi, insiste, veuille savoir. J’aurais voulu qu’un soir elle me dise n’avoir pas eu entièrement raison pour m’avoir démoli et m’avoir laissé crever sans un mot trois mois durant. J’aurais voulu qu’elle ne se félicite pas autant d’avoir complètement perdu les pédales avec un vieux poivrot ignare et qu’elle ne persiste pas à appeler à longueur de carnets ses sordides beuveries et turpitudes inhérentes avec lui « lovely mess » ou « favorite disaster ». J’aurais voulu qu’avec moi elle perde parfois complètement les pédales et oublie l’heure, la vaisselle, les courses et le reste.

Favorite disaster Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.