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Domaine français Prévision d’apocalypse

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Éric Dussert

Céline Minard confirme son étonnant brio : le dernier homme revient sur la terre dépeuplée et déroule le flot des histoires de l’Homme. Tout en faisant le ménage.

Le Dernier monde

Céline Minard n’est plus une inconnue. Remarquée lors de la parution de R. (Comp’act, 2004), elle a depuis lors fourni un deuxième roman, La Manadologie (MF, 2005), déclinaison SF des grands principes de la philosophie des sciences, puis l’un des trois compléments inédits apportés à Albine, l’inachevé de George Sand, en compagnie de Daniel Arsand et de Sophie Loizeau (Comp’act, 2006). Avec Le Dernier Monde, il apparaît qu’elle a décidé d’écarter très largement ses ailes en proposant à nouveau autre chose à la librairie contemporaine. Si R. et La Manadologie dénotaient déjà une forte propension à ne pas se cantonner au roman traditionnel (linéaire ou à astuce), son nouveau livre, fort de ses cinq cents pages denses et fort dépaysantes, s’inscrit dans la même ligne avec, toutefois, un recours plus régulier à l’anecdote appétissante et aux charivaris de l’imagination débridée, voire aux délires. Qu’on n’aille pas croire pour autant que Céline Minard a rejoint les rangs du roman à la papa, ce serait se tromper, et de beaucoup. Son argument est celui-ci : Le dernier homme est un astronaute qui a échappé à l’éradication du genre humain par un phénomène électro-magnétique terrestre inconnu alors qu’il se trouvait seul dans sa station spatiale. De retour sur terre, il découvre la solitude et le remède à celle-ci : la schizophrénie. Peuplant son crâne de figures du passé avec lesquelles s’engagent des dialogues et qui, parfois, monologuent, Jaume Roiq Stevens vit des aventures dingues, doté de moyens qui lui confèrent le statut de démiurge (orphelin et privé de descendance), et entreprend de laver le globe des plus manifestes traces de l’Homme. À la tête d’une armée de porcs ou aux commandes d’un hélicoptère de combat, il déplace des foules (idéelles), et entreprend de détruire méthodiquement les grands barrages chinois. Autrement dit, ça déménage et l’on ne serait pas étonné de trouver là cette fameuse et virile réplique d’Apocalypse now : « j’aime l’odeur du napalm au petit matin ». La catharsis, en somme, d’une planète rendue aux règnes minéral, végétal et animal.
Pour autant, l’aventure héroïque n’est pas le seul ressort de ce roman décoiffant qui fait place à un véritable panorama de l’histoire de l’Homme, depuis les temps claniques jusqu’aux empires hydrauliques (la place de l’eau est remarquable dans ce livre), en passant par la société du spectacle et celle des loisirs. Ce propos sous-tend l’action et compose de bout en bout (du rouleau) une verte diatribe contre l’Homme, espèce insane, contre ses dynasties dominantes et leurs grands voraces.
Pour Céline Minard, il semble que Le Dernier Monde constitue un recours extrême de la fiction pour exprimer avec littérature le monde. Comme avec R., et comme avec La Manadologie, deux subtiles mises en fiction de pensées philosophiques et/ou scientifiques, elle livre autrement et avec grandeur, quoique très peu d’émotion parce que son besoin de rationaliser, malgré les délires de ses personnages, l’occulte sans doute, sa vision des choses en même temps que ses apothéoses inspirées. Et parmi les livres inhabités qui nous engluent hypocritement à grands cris d’expérience intime, de souvenirs frelatés ou de jacasseries ineptes, l’apocalypse selon Céline Minard, charpentée comme une somme à la fois savante et ironique, lourde de mots et d’idées, se présente assurément comme la manœuvre rentre-dedans d’une romancière sûre d’elle-même. Le Dernier Monde est, en effet, la manifestation d’une grande et remarquable ambition d’écrivain.
Armée comme l’est Céline Minard, sa tentative ne paraîtra pas outrancière : récit original, nerveux, riche des imaginations de naguère, prompt à glisser d’une poétique à une autre, ramasse-textes qui fonctionne à la manière des grands écrits de l’humanité, ce livre est un flot de littératures plus canalisé qu’il n’y paraît, plus maîtrisé. De la Bible au Nuage pourpre de Shiel, le précurseur de l’école catastrophiste anglaise, en passant par Arno Schmidt (La République des savants, par exemple) et autres rénovateurs de la fiction, on trouve chez Céline Minard tous les ingrédients de l’art et de la manière, à l’exception de l’émotion qu’elle ne sert pas au lecteur, et l’on devine vite que son apparente froideur masque une haute réserve intime. Mais son entreprise, un peu titanesque tout de même, aussi technique et risquée fût-elle, ne la conduit pas à l’impasse. Dans le mélange des univers textuels, dans la marqueterie s’affirme une aisance exceptionnelle. Céline Minard dispose, de toute évidence, de dons très supérieurs à la moyenne. Et lorsqu’au brio, à l’intelligence et à la drôlerie, Céline Minard acceptera de laisser poindre son émotion personnelle, elle donnera son chef-d’œuvre. Pour l’heure, elle nous laisse à nouveau sur le carreau, toujours aussi impressionnés, et dans l’attente impatiente de nouvelles pages. Chapeau. Il se pourrait que la rentrée littéraire de janvier 2007 s’intitule Le Dernier Monde. On peut d’ores et déjà considérer ceci comme un avertissement.

Le Dernier Monde
Céline Minard
Denoël
514 pages, 25

Prévision d’apocalypse Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.
LMDA PDF n°79
4,00