Un livre

La Lucidité

de José Saramago

Editions Seuil

Imaginez un dépouillement d’élections municipales où l’on constaterait que 83 % de la population de la capitale a voté blanc. De quoi déstabiliser les chefs de partis, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre. Saramago pousse le raisonnement à l’extrême, imaginant la réaction des dirigeants face à une telle marque de désaveu de la part des électeurs. Se sont-ils concertés ? S’agit-il d’un complot ? Le gouvernement appelle à la raison les votants, affirmant qu’« un usage inconsidéré du vote blanc rendrait le système démocratique ingérable ». On envoie des espions pour découvrir le conspirateur à l’origine de ce scandale, on torture un peu pour obtenir des informations, mais voter blanc n’est pas répréhensible par la loi. Que faire ? Le président et ses ministres décident d’abandonner la ville à son sort, espérant la débâcle, prêts à la stimuler s’il le faut. Mais, contre toute attente, les habitants s’auto-gèrent dans une parfaite harmonie, continuant à agir comme un seul homme. « La soif d’originalité poussa un commentateur à qualifier ce fait de cas unique, jamais vu dans l’histoire, un modèle d’unanimité idéologique qui, s’il se révélait exact, ferait de la population de la capitale un exemple fort intéressant de monstruosité politique, méritant d’être étudié. »
De son style tout en longues phrases articulées de virgules auxquelles se mêlent des dialogues, José Saramago incite à une réflexion sur le pouvoir politique et le rôle pervers des médias, qui s’acharnent sur cette ville mise en quarantaine pour avoir voulu marquer sa non-adhésion à la politique existante. Ce livre fait écho à L’Aveuglement, publié dix ans plus tôt, dans lequel José Saramago plongeait un pays entier dans la cécité. Une fable qui donne à penser, en cette période pré-électorale.

La Lucidité de José Saramago - Traduit du portugais par Geneviève Leibrich, Seuil, 360 pages, 22 €