Revenir au point de départ d’une errance, sur les lieux qui ont brisé ce qui paraissait être une trajectoire simple, nier le temps et l’entropie, ou vouloir les effacer dans un même geste se déplacer et devenir déplacé, ou prendre conscience qu’on l’est, et de qui l’on est. « Le déplacement renforce ou délimite, pour un instant, la connaissance d’être là. » Une jeune femme retourne dans une maison qu’elle a habitée dix ans auparavant, voudrait se souvenir, rassemble des bribes, réalise qu’un récit est plus qu’un assemblage, entraînée dans un périple étrange sans doute aussi parce qu’elle est demeurée en partie étrangère à ce qui s’est passé. Comme une tentative permanente et latente de préservation de l’innocence « Parfois j’ai regardé des dos d’étrangers, ils étaient droits, c’était de n’avoir pas vécu. Quand ils se retournaient, je voyais imberbe le visage, le front intact. Ils n’avaient encore rien à raconter et je leur en savais gré » en avènement à la tentation d’être, envers et contre la scène violente qui entrave encore les rencontres, aggrave les inhibitions fige le temps, ramenant chaque instant au rang de minéral. Il ne s’agit ni de fuir ni de renouer, mais de guetter par et dans ces mouvements les interstices où se révèle la continuité, non pas d’un moi, d’une histoire, mais de ce qui fait la nature et la force, au-delà de la singularité, d’une présence. Rendre vie à l’instant en lui ouvrant l’espace inhabité par le souvenir.
Entre Adour, Toulouse et Angkor, Marie Cosnay vit ses Déplacements toujours forte de l’errance à laquelle elle nous a habitués. Avec cette fois-ci, une plage de tristesse où sa langue se déroule comme une vague, apaisante, crissante, frémissante.
Déplacements de Marie Cosnay
Éditions Laurence Teper, 98 pages, 11,50 €
Domaine français Saisir l’instant
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Lucie Clair
Un livre
Saisir l’instant
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.