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Égarés, oubliés Quiquengrogne, femme libre

avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82 | par Éric Dussert

La sulfureuse Marie-Amélie Chartroule de Montifaud fut l’une des plus pugnaces féministes de son temps. Romantique pornographe, elle fréquenta beaucoup les tribunaux, un peu la prison.

Grâce à une poignée de chercheurs (Jean-Louis Debauve, Laurence Brogniez), la lumière commence à se faire sur Marie-Amélie Chartroule de Montifaud, dite Marc de Montifaud, qui, née en avril 1849, traversa la seconde moitié du XIXe siècle pour s’éteindre en 1912, à l’aube de temps nouveaux, plus propices à la parole féminine. Cette romantique rebelle, proche de Villiers de l’Isle-Adam qui lui dédia Le Nouveau Monde, s’est distinguée par un polygraphie débordante, assaisonnée des sels d’un esprit aussi libre qu’urticant.
Loin des canons de la femme de lettres du XIXe siècle où régnaient les comtesse Dash et les bas-bleus, Montifaud entra assez violemment son stylet dans le gras des conventions. À commencer par le cléricalisme qu’elle perfora, conspua et piétina avec une belle obstination. Libre-penseuse historique, elle connut le cachot pour avoir écrit les Vestales de l’Église (1877), où elle disait tout le bien qu’elle pensait des congrégations religieuses féminines, en usant parfois d’arguments d’une mauvaise foi bien trempée. Qui lui en voudra ? Elle restait bien en deça de la sornette standard du Vatican. Ses arguments inélégants peut-être n’en était pas moins salutaires et drôles lorsque elle y mêlait, avec délice, le stupre de copulations illégales. Le Moine de M. G. Lewis revu par Antonin Artaud n’est qu’un lointain cousin de ses créatures endiablées.
On jugea son érotisme graveleux. Évidemment, elle était femme. Pour autant, les rares photos dénichées jusqu’ici1 montrent un visage hommasse, parfaitement volontaire qui correspond bien à la tonalité véhémente de ses ouvrages. C’est que Marie-Amélie avait un caractère d’irrégulière, ce qu’elle paya de la régulière attention de la censure rayonnante. L’ordre moral voyait en elle une personnalité suspecte : elle osait mettre à nu des corps que l’on ne savait voir. Pis, elle en faisait la description assez minutieuse, et semblait s’y complaire… Une femme pornographe, saperlipopette, c’était plus que le Second Empire ne pouvait supporter.
Plus que ses sympathies socialistes et ses articles féministes, c’est cette « désoccultation » érotique qui justifiait l’empressement de la censure à son égard. Contrainte à l’exil bruxellois, cour des miracles des mauvais citoyens de tous bords, elle n’en cessa pas pour autant de produire en quantité nouvelles et contes drolatiques, d’esprit galant et provocateur, qu’elle avait l’art de coiffer de titres scandaleux ou pour le moins évocateurs. Parut ainsi un chapelet de récits d’inégales valeurs : Les Triomphes de l’Abbaye des Conards (1874), Les Nouvelles drolatiques (1880-1881), ou ces Folles journées (1884) où l’on peut lire « Le tutu de la colonelle. Cousu au milieu », « La Fille bien gardée, ou le doigt de Dieu » et autres grivoiseries sans chichi.
« Pour le coup, Zola est tombé, écrit Charles Monselet dans De A à Z, portraits contemporains (1888), et l’auteur de La Fille Élisa peut mettre à la poche pour chercher son mouchoir (se fouiller). » Avant de constater que Madame Ducroisy (1879), où il a relevé avec gourmandise « le craquant d’une cuisse », « est le livre d’une dame. Diable ! » Et il ajoute « Mais pourquoi, lorsqu’on a la chance de s’appeler Quivogne, échanger ce nom pittoresque contre celui de Montifaud ? Quivogne ! cela se retient du premier coup ! (…) Quivogne ! presque Quiquengrogne ! La première fois que Louis Lurine apposa sa signature au bas d’un feuilleton, il n’y eut qu’une exclamation dans Paris. Mais il était célèbre le lendemain. »
Marc de Montifaud joua donc des ressorts de la pornographie, mais il serait réducteur d’en rester à cet aspect de sa personnalité, comme le prouve son ouvrage le plus recherché, Les Romantiques (Librairie à estampes, 1877) où elle traçait d’assez bons portraits de Dumas, Gautier, Musset, Sand, Houssaye, Balzac, Nerval, Lamartine ou Petrus Borel. Critique d’art et archéologue littéraire, elle signa de nombreuses chroniques et critiques, fonda avec son époux Léon de Quivogne la revue L’Art moderne (1876) et donna jusqu’à des éditions de romans licencieux… on ne se refait pas de Pierre Corneille Blessebois, le Casanova français du XVIIe siècle, escroc, voleur, incendiaire et parfois même assassin, dont le fameux Zombie du Grand Pérou et Le Lion d’Angelie ne nous seraient probablement jamais parvenus sans elle. Et puis elle réédita les Voyages de Cyrano de Bergerac, preuve d’une solide érudition qu’accrédite encore le pseudonyme dont elle usait parfois : Paul Érasme. Humaniste peut-être, progressiste à coup sûr, Marc de Montifaud démontre qu’avant les suffragettes des femmes songeaient à leur totale émancipation. Si Louise Michel a opté pour le socialisme et la révolution, Marie-Amélie Chartroule épouse de Quivogne semble n’avoir pas démérité dans la provocation autonome et le rentre-dedans. Marc de Montifaud ou la littérature comme sport de combat. Arthur Cravan aurait apprécié.

1 www.bmlisieux.com (remerciements à Olivier Bogros pour les photos)

Quiquengrogne, femme libre Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°82 , avril 2007.
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