En Albanie, Pjota vit dans la violence quotidienne et la crasse de la roulotte familiale. Lorsqu’un caïd local prend l’adolescent à son service, c’est à la fois une déchirure et une libération. Il lui faut quitter le père et le frère incestueux, mais aussi la mère consolatrice. Dans la villa des horreurs tenue par le cruel Razy, Pjota ne change pas d’univers. Lui qui connaît la mer comme sa poche devient naufrageur : il coule au large des canots pneumatiques remplis de drogues. Seul face aux éléments, Pjota s’endurcit, lutte pour sa survie. De très belles pages sur la solitude au milieu des déferlantes rappellent les grands thèmes de Conrad, d’ailleurs évoqué par Pjota. Le jeune homme, pétri de littérature, cache dans une grotte les livres qu’il a pu récupérer. Indépendant et rêveur, celui qu’on surnomme le Génie d’Albanie s’imagine un autre avenir. Contraint de mettre pied en Italie, il se voit déjà le roi de la péninsule, mais déchante aussitôt. Francesco De Filippo montre en effet une Italie qui n’est pas bienveillante. On n’en voit que les banlieues, les filles en rang d’oignons à Naples, Rome, Milan, Bologne, toutes exploitées par des mafias qui profitent de la manne des sans espoirs. « Y a-t-il une différence entre les esclaves d’Afrique conduits enchaînés aux Etats-Unis et ceux qui arrivent en Europe poussés par la faim ? », se demande De Filippo. Pour l’écrivain et journaliste, les abus sexuel et culturel vont de pair. L’Italie, dont des millions d’émigrés ont essaimé de par le monde, veut oublier ses miséreux. Elle regarde de haut ces crève-la-faim qui arrivent en navires épave. Le livre de Filippo, fait de phrases courtes et hachées, délivre des instantanés aveuglants. Les nécessiteux y posent, avec pour seul horizon une criminalité quotidienne dont ils sont les victimes et, parfois, le bras armé.
Le Naufrageur de Francesco de Filippo
Traduit de l’italien par Serge Quadruppani
Métailié, 209 pages, 18 €
Domaine étranger Le Génie d’Albanie
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Franck Mannoni
Un livre
Le Génie d’Albanie
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.