Eponyme N°4
De toutes les scènes culturelles provinciales, Nantes est peut-être l’une des plus fertiles. Que ce soit avec la troupe Royal de Luxe, les Folles journées ou le Festival aux heures d’été, elle privilégie l’expression d’une dynamique artistique probante. La revue Éponyme publiée par les éditions nantaises Joca Seria et orchestrée par Éric Pessan en est la parfaite illustration. Conjoignant subtilement les arts et les lettres, cette dernière allie interdisciplinarité et esthétique de l’éveil. Depuis sa création à l’automne 2005, Éponyme a accueilli une kyrielle d’artistes issus parfois d’horizons diamétralement opposés. À leur manière, les écrivains Pierre Senges et Patrick Chatelier, l’illustratrice Kelig Hayel, les photographes Laura Brunellière et Julie Ganzin, entre autres, ont été invités dans ce quatrième numéro à œuvrer contre la « simple règle économique » qu’idolâtre l’austère rentabilité des magnats du paupérisme culturel.
Bien sûr, du fait même de son éclectisme, Éponyme n’emporte pas une adhésion inconditionnelle. Certains textes, comme Il faut qu’une morte soit ouverte ou fermée de Patrice Salsa ou ella de Ronan Cheviller, ne convainquent pas. Au pire, ennuient. Soit par excès de formalisme. Soit par inclinaison pour l’alambiqué sans frein. Ces dérives stylistiques sont toutefois contrebalancées par la contiguïté d’approches pertinentes. Ainsi, Christophe Fourvel parvient à communiquer son enthousiasme pour Bibi Anderson dans Persona de Bergman. À travers dessins et strophes poétiques, Philippe Poirier convie à une rêverie sombre et méditative. Les œuvres peintes de l’Algérienne Nadia Benbouta dérangent, fascinent et interpellent. Composées pour l’essentiel sur fond de papier peint, elles mettent en relief de façon implacable la versatilité de la barbarie humaine. Un peu plus avant, celles-ci sont relayées par la double série photographique d’Alexandre Chevallier, Sarajevo-Beyrouth, lignes de fuite. Accompagné du geste littéraire de Guénaël Boutouillet, Chevallier donne à voir les ruines de cités « inhabitables, surhabitées » dont les photographies de paysages humains de Julie Ganzin constituent le juste contrepoint.
Plus qu’un simple faisceau de confluences artistiques, ce numéro est le lieu où s’autorise une parole marginale. Une parole qu’oriente seul un sens particulier de l’éthique. Dans un texte d’anticipation, Sandra Champagne-Ilas imagine un monde sans hommes où les « banques de sperme génétiquement modifié » fleuriront et où l’aberrante question de l’anomalie génétique des gays, suicidaires et pédophiles, ne se posera même plus.
Éponyme N°4, 201 pages, 20 € Éditions Joca Seria