La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Essais Éclairer la nuit

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Thierry Cecille

Guerres ou génocides, le XXe siècle fut celui des victimes mais aussi celui des survivants. Comment firent-ils, de leurs expériences, des œuvres littéraires ?.

Qui si je criais ...?

Oeuvres témoignages dans les tourmentes du 20è siècle
Editions Laurence Teper éditions

Sans doute Claude Mouchard a-t-il consacré de longues années à cette œuvre : ce parcours qui nous mène des ghettos à S.21, centre de détention et de torture des Khmers rouges, de l’archipel sibérien du goulag à Hiroshima, n’est pas sans détours, reprises, corrections, répétitions. C’est que la matière qu’il affronte ne se laisse pas cerner d’emblée, les concepts théoriques trop rigides, les affirmations trop péremptoires ne rendraient pas compte de ces territoires mouvants du témoignage, entre le silence et le vacarme, le cri et la prière. Les formes qu’il analyse sont elles-mêmes diverses : courts récits de Chalamov, écrits autobiographiques d’Antelme ou de Kertész, film documentaire de Rithy Panh, poèmes de Mandelstam, Akhmatova, Celan ou Sachs, romans (par exemple l’admirable Pluie noire d’Ibuse Masuji, à propos d’Hiroshima, qui fut adapté par Imamura)… L’interrogation qui court tout au long de ces pages est donc hésitante, comme si Claude Mouchard craignait de faire preuve de brutalité, comme si, continuellement, il devait faire preuve de précautions oratoires, mais plus encore intellectuelles et humaines pour approcher ces textes, puisqu’en vérité, il ne cesse de le redire, ceux-ci auraient très bien pu ne pas exister, auraient même dû ne pas exister. Ce qui, en effet, fut propre aux pouvoirs dictatoriaux, totalitaires du XXe siècle, ce ne fut pas tant leurs crimes (si l’on met de côté, cependant, la démesure qui les caractérise) que l’obsession parallèle de les nier, de faire disparaître jusqu’à la mémoire des disparus. C’est sur le fond de ce silence que ces voix surgissent, avec la volonté (mais aussi le remords dont certains mourront…) de parler pour ceux qui furent « engloutis » (Primo Levi). Claude Mouchard, à son tour, veut se faire ici « témoin pour le témoin » *.
« Mémoires autres », voici ce à quoi nous devons nous confronter mais à quoi les auteurs eux-mêmes eurent affaire : les pages peut-être les plus fortes sont celles où nous découvrons Chalamov ou Kertész faisant l’épreuve douloureuse de la distance qui les sépare de ce passé qu’ils veulent reconstituer. Mais, paradoxalement, s’ils peuvent reconstituer ce passé, c’est peut-être parce que jamais il ne fut passé et cela, justement, parce qu’il ne fut jamais, pour eux, un présent. Ce qui alors au temps du camp, ou de la prison, ou de l’attente de la mort était vécu, ne l’était pas par un « je » consistant, intact, la perte d’identité était telle que la souffrance (ou la sensibilité qui résistait, ou la force morale encore survivante) s’incrustait en eux sans qu’ils en prennent vraiment conscience comme ces cadavres gelés que la terre de Sibérie aura gardés intacts et qu’un bulldozer, raconte Chalamov, mettra au jour.
Par ailleurs, et c’est là la seconde question qu’élabore et reprend sans cesse Mouchard, il faut, pour chacun, qu’ils s’inventent un destinataire, ils doivent « anticiper l’écoute » : pour qui écrire ? Y aura-t-il, dans l’avenir qui leur est à eux refusé, d’autres hommes pour entendre ces cris ? Y aura-t-il même encore des hommes ? À quoi bon faire œuvre, pourquoi laisser ces « traces œuvrées » (Didi-Huberman) si l’on doute que « l’humanité » survive au déni d’humanité dont on fait l’épreuve ? Pourtant Zamen Gradowski, membre du Sonderkommando d’Auschwitz enfouit dans la terre ses manuscrits, Celan choisit d’écrire dans la langue des meurtriers, en la défigurant, Nelly Sachs tente d’inventer des formes poétiques qui soient des « pierres tombales » pour tous il y eut bien là un « mélange d’appel et de rétraction ». Ces œuvres furent donc comme jetées dans le vide, mais à notre « adresse » à nous de les rejoindre, avec piété et vigilance.

* C’est aussi ce qu’il tente, en un « pamphlet-poème » réaliste et violent, à propos de la présence-absence, dans notre Europe forteresse, des clandestins, des refusés (Papiers ! 45 pages, 11,80 , Éditions Laurence Teper).

Qui si
je criais… ?

Œuvres-
témoignages dans les
tourmentes du XXe siècle

Claude
Mouchard
Éditions Laurence Teper
510 pages, 27,50

Éclairer la nuit Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
LMDA papier n°84
6,50 
LMDA PDF n°84
4,00