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Domaine étranger Notre agent à Gaborone

octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87 | par Lucie Clair

Le deuxième roman de Norman Rush nous ramène au Botswana. Dix ans après avoir été le théâtre sanglant des grandes puissances, l’Afrique à son tournant postcommuniste se cherche une voie.

De simples mortels

Depuis que Boyle a remplacé Marion à la tête du contre-espionnage américain au Botswana, plus rien ne va pour Ray Finch, agent sous couverture d’enseignant d’anglais au collège St James à Gaborone. Son flair est remis en cause, ses « Profils de vies », les fiches si appréciées de Washington - et dans lesquels il pouvait assouvir sa vocation tronquée d’écrivain sous le haut et discret patronage de Milton - remisées au profit de vagues comptes rendus enregistrés sur cassettes, et sa femme Iris, le miroir de ses humeurs, l’épicentre de son existence, commence à manifester des signes perturbants de doute après dix-sept ans de vie commune. En prélude au basculement annoncé de sa vie, le dessaisissement progressif des dossiers intéressants - ou tout le moins ceux qui s’annoncent comme tels. Car viennent d’arriver en ville deux personnages susceptibles d’attirer l’attention de l’agence : Morel, médecin noir américain versé en thérapie holistique dont la croisade antichrétienne dans cette zone maillée de centres religieux et organismes de charité n’a peut-être pas pour seuls potentiels effets dévastateurs de déstabiliser le pays - mais des dimensions plus privées, dès qu’Iris devient la patiente du docteur. En contrepoint, Keregang, ingénieur motswana de retour après des études brillantes au Royaume-Uni entreprend de fonder l’alliance des érudits et du peuple dans une vision moderniste et pragmatique prônant l’abandon de l’élevage quand « la possession du bétail équivalait à la virilité. Cela allait très loin. Les gens préféraient laisser périr leur bétail aux époques de sécheresse que de les vendre à l’abattoir pendant qu’ils le pouvaient encore ».
C’est sur Keregang que le choix de Boyle s’est fixé, mais le cœur de Ray penche pour cet utopiste agraire aux accents de Tennyson, même si ce n’est pas son poète préféré. Ne faudrait-il pas y voir là un élan potentiel de développement pour un pays aux destinées encore incertaines en ce tournant des années 1990 et laisser une place aux érudits, même contestataires, dans le jeu politique figé par des années d’intervention ? L’universitaire est frustré, son intelligence priée de se faire oublier, le mari perd pied, souffre, atermoie et enrage en silence, l’agent de bureau qui se targue de n’avoir pas les mains sales se retrouve propulsé près de la frontière namibienne pour une mission de terrain à la recherche de Keregang devenu « l’incendiaire ».
Ray Finch est l’antihéros de ce deuxième opus de Norman Rush - dans un contexte où les héros n’ont plus leur place : le mur est tombé, le communisme a cessé d’être une menace et l’Afrique du Sud s’achemine vers une nouvelle ère après la libération de Nelson Mandela. Quand Accouplement travaillait au corps les utopies des blancs et de leurs entreprises, quand les contrastes de la période Reagan étaient tranchés et les espoirs de développement ramenés aux lignes des budgets de l’Aide Alimentaire Mondiale, c’est au tour des élites noires de reprendre en main les chances d’œuvrer : de Denoon, le visionnaire de Tsau - qui refait une apparition mélancolique au milieu du roman -, à Keregang, il y a une décennie de perte-pied idéologique et d’incapacité des services secrets occidentaux à conserver l’équilibre de la région par le statu quo imposé de l’Apartheid. Il y a aussi, symboliquement, l’appel à un passage de pouvoir, qui n’est pas sans soulever d’autres illusions.
Sous le signe de la littérature et l’égide d’une cohorte d’écrivains, dont un improbable Flaubert au cœur du désert, De simples mortels est une vision magistrale et humoristique de l’ambivalence humaine tiraillée entre désir et illusion, mouvement paradoxal libérant la force du renoncement, celui qui ouvre la voie de la paix avec un frère aux jeux pervers et humiliants, celui nourri par la nécessité d’aimer la femme qui vous quitte pour un autre, renoncement à l’identité forgée par les étiquettes - catégories que l’on appose et règles que l’on s’efforce de ne pas transgresser, par peur de ne plus appartenir - autorisant la découverte d’autres soi à venir, injonction aussi au renoncement de l’Occident à vouloir mettre le monde sous sa gouverne idéologique. En préalable à cet espace ouvert par un renoncement actif, l’aveu des limites, non comme perte mais comme abandon du superflu, des idées préconçues, adoptées par les jeux de rôle sociaux. Ray « n’était pas en position d’accomplir quoique ce soit, de changer quoique ce soit, de fournir une quelconque alternative. Et s’agissant d’alternative, ce que ses camarades et amis projetaient de faire ensuite, ce à quoi il essaierait lui de penser comme une alternative, n’était pas clair ».
De cette incertitude propre aux périodes charnières, jaillit à la fin du roman une force peu commune, celle d’être dans la justesse de sa vie de simple mortel, et en réconciliation avec cette dimension, d’œuvrer dans la réelle capacité à être au monde.

De simples mortels
Norman Rush
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Robert Davreu
Fayard
850 pages, 28

Notre agent à Gaborone Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°87 , octobre 2007.
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