Pour qui n’aurait lu de lui que Oil Notes, l’élégante discrétion de Rick Bass a de quoi surprendre. Souriant, répondant par de courtes phrases où pointe en permanence un humour légèrement ironique, l’écrivain ne ressemble guère au rouleur de mécaniques façon Marlboro tel qu’il pouvait apparaître dans son premier long récit autobiographique. L’homme serait plutôt un taiseux : ses réponses condensées semblent ne vouloir pas peser sur le moment vécu. Habillé d’une simple et belle chemise blanche, les yeux vifs derrière ses lunettes, l’Américain s’est commandé un irish coffee pour l’aider à passer l’épreuve de l’entretien. Dans le bar où nous sommes descendus, au bord des quais d’un port de plaisance, Claire Chazal met la pression : un écran géant vient rappeler aux rares touristes que c’est ce soir, probablement, que les Bleus termineront leur Coupe du monde de rugby. Leurs adversaires portent déjà le deuil de leur défaite. « France will win tonight » prophétise l’Américain assez fasciné par le défaitisme tricolore. Plus tard, au restaurant, les hurlements enthousiastes du cuistot viendront des cuisines valider son pronostic. Les Néo-Zélandais sont défaits.
Rick Bass (sans que cela puisse être mis en rapport avec ses talents de pronostiqueur) a quelque chose de ces écrivains intuitifs qui avancent en écriture sans théorie préalable. On trouve cependant, ici ou là, des notes sur l’écriture : c’est une nouvelle dans Le Gué où l’on voit un jeune étudiant écrire de splendides phrases orphelines, incapable qu’il est d’en faire de véritables histoires. Ici, c’est donc quelque chose de mystérieux, entre grâce et musique qui est mis en avant. Dans Le Livre de Yaak, l’écrivain livre toute une réflexion sur la naissance de l’art : « Je sais que le grand art peut naître d’un grand tumulte qui nous incite, au plus profond de nous-même, à ordonner le chaos, à inventer des histoires ordonnées à partir d’éléments de désordre. Et je crois, aussi bien, que le grand art peut naître d’une grande paix, d’un sentiment de stabilité et de sécurité, que des émotions puissantes génèrent un art puissant. » Profondeur, chaos, paix : l’homme pourrait aussi bien parler en géologue qu’il fut et peut-être, pour lui, la recherche du pétrole n’était elle qu’un prélude à la quête d’une beauté que ses écrits mettent au jour.
Rick Bass, comment la géologie a-t-elle pu vous aider à écrire ?
L’écriture et la géologie sont deux disciplines remarquablement similaires. En géologie, vous avez généralement une poignée de faits et vous cherchez, souvent intuitivement, un trésor invisible, enfoui profondément. De même dans l’écriture, le voyage commence avec seulement quelques éléments connus et c’est alors la même recherche de quelque chose profondément enfoui - propositions, sens, variations, épiphanies - et le travail se fait organiquement dans un étrange mélange de faits et d’intuitions.
Comme pour trouver du pétrole il faut creuser un puits,...
Dossier
Rick Bass
L’appel de la forêt
Maître du roman ou de la longue nouvelle, Rick Bass délaisse depuis quelques années les chemins de la fiction pour mettre sa plume au service de la cause écologique. Un engagement qui rend d’autant plus nécessaire de sauver la vallée du Yaak. Pour l’avenir de l’humanité et pour que nous soit rendu l’un des plus inventifs romanciers américains.