Lire Rick Bass donne une énergie neuve. Réveille un sentiment profondément enfoui d’appartenance à la nature. Fait le lien entre nous et des animaux qu’on n’a même jamais vus. Les livres de l’Américain renouent ainsi notre lien originel à la terre, l’eau, la vie sauvage. Rick Bass l’a dit et écrit : le monde qui naît dans ses livres lui est comme dicté par le paysage où il vit, cette vallée du Yaak dont on devine, après avoir lu Là où se trouvait la mer, la force et la beauté. Mais voilà : « Ma vallée est en feu » annonce l’écrivain en introduction au Livre de Yaak. Et d’ajouter : « elle est en flammes. Voilà plus de vingt ans qu’elle se consume. » Le livre de chroniques qu’on va lire est donc « tout ce que je sais faire. J’ignore si un livre peut aider à protéger une vallée et ses habitants. » De quoi sont-ils menacés ? « du monde marchand », de « ceux qui viennent prendre au lieu de donner. » Bref, pour arracher le tiers des 191000 hectares du Yaak qui n’a pas encore été défriché par les exploitants forestiers, Rick Bass a écrit Le Livre de Yaak : « Ceci n’est pas un livre, pas vraiment. Plutôt un produit de la vie dans les bois, un peu comme un bloc de rhyolite, la ramure abandonnée d’un cerf, un crâne d’ours, la plume d’un héron. » Ce dernier inventaire avant liquidation, peut-être, n’est donc pas tant un essai qu’un recueil de textes pour dire, montrer, illustrer ce qu’est cette vallée menacée aujourd’hui. Revenant sur son installation avec Elizabeth dans ce lieu propice à la création artistique « (C’était comme si ces histoires sortaient des bois pour affluer à travers moi jusqu’au lecteur, alors que par la suite je tenterais un processus inverse, je demanderais au lecteur de me céder quelque chose qui passerait à travers moi pour revenir au bois » (…), l’écrivain met tout le poids de son œuvre dans le combat qu’il a décidé de mener pour sauver sa vallée. « L’écriture est capitale à mes yeux, et particulièrement la fiction. Mais il y a des milliers de romanciers dans le monde, et une seule vallée du Yaak. Si je cesse d’écrire des nouvelles, le monde ne s’arrêtera pas de tourner pour autant. (…) En revanche, si quelque chose comme la beauté naturelle de cette vallée vient à disparaître, je crois véritablement que cette perte provoquera un certain déséquilibre - telle une friction, une blessure dont nous aurons du mal à nous remettre, comme de toutes celles dont nous avons souffert jusqu’ici. »
Les textes qui s’enchaînent dressent alors des portraits multiples de la vallée. Portrait de personnes, comme cette vieille femme qui « nage dans les eaux glacées de la Yaak River » et dont l’écrivain a dû s’inspirer, peut-être, pour le personnage de Leena dans Platte River. Portrait de grizzlys rencontrés dans cette « vallée de géants - des hérons, des aigles à tête blanche, des aigles dorés, des esturgeons blancs au pied des cascades et des ombles de vingt-cinq livres, des grizzlys et des ours noirs, des chouettes lapones et des grands...
Dossier
Rick Bass
Défense et illustration du Yaak
novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88
| par
Thierry Guichard
Rick Bass dresse un portrait éclaté de sa vallée. Comme s’il consignait les derniers feux d’un monde en voie d’extinction.
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