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Domaine étranger Mexico, les signes du chaos

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Lucie Clair

Réunis dans une anthologie rigoureuse et sensible, quinze auteurs mexicains ou d’adoption livrent leur vision d’une ville au désordre monstrueux et prolixe.

Mexico

Chroniques littéraires d'une mégalopole baroque
Editions Autrement

Ils sont tous d’accord sur ce constat : Mexico est devenue une ville impossible à circonscrire - depuis Carlos Fuentes en 1958 1 « aucun écrivain ne s’est jusqu’ici essayé à actualiser » un regard d’ensemble. Et puisqu’un seul n’y suffit pas, pour cette mégapole de vingt millions d’habitants, Rubén Gallo, professeur de littérature à Princeton, a décidé de rassembler les talents : ils sont quinze - sans le compter, mais son introduction en elle-même est un texte à intégrer - à fournir « un autre genre de textes, plus modestes », sous forme de billets, courtes nouvelles, et chroniques, ce dernier genre emblème des lettres mexicaines. Ici, la modestie s’érige en souveraine.
C’est sous le signe des Villes invisibles d’Italo Calvino qu’à l’instar de Juan Villoro dans « (S)a ville est le ciel du métro » l’on se perd et déambule, s’arrête et se délecte, recule et erre dans un itinéraire secret où Mexico, et DF, sa conurbation, n’est plus le seul maelström des cauchemars vécus - inondations, éboulements de terrain, irruption volcanique, criminalité affichant « 10 meurtres par jour », la ville où les enfants dessinent un « marron ciel » car le bleu a disparu quand tournoient « les hélicoptères jaunes de la chaîne météo », et dont ses habitants sont « devenus experts en détérioration : nous comparons nos pustules, discutons du plomb que les bébés ont dans le sang et des femmes enceintes souffrant de placenta proevia » - mais une aberration fascinante où « toute limite est purement symbolique ». Le Sida devient le nom d’un catcheur de « lucha libre » battu par « Superbarrio », défenseur des mal logés - et la maladie rencontre là son combat politique aussi efficace qu’Act Up à New York. Salinas « vampirise » les comptes bancaires du Mexique et la gouaille de la rue s’empare du mythe d’une bête égorgeur de chèvres, la « chupacabras » pour l’affubler des sobriquets qui le conduiront plus sûrement que la cour de justice vers l’exil. Certes Mexico effraie, interroge, séduit, indigne, dérange mais, pour reprendre l’aphorisme de Monsivàis « Il n’est pas de pire cauchemar que celui qui nous exclut. » Et la tentaculaire, nœud constrictor des espoirs ravalés - voir « La Princesse du café chinois » de José de la Colina - est comme « la femme à barbe du cirque » dont chacun de ces auteurs est, à sa façon, « amoureux ».
Amours passionnelles pour cette « mère poisseuse, ville impénitente (…) truie engraissée dans la fange du possible », construite sur les ruines aztèques, fondations mouvantes sur des canaux mal remblayés, épicentre des révolutions et leurs spasmes de corruption depuis 1910. Amours irraisonnées et raisonnantes, tentant de faire comprendre à l’étranger que l’on est si l’on n’y demeure pas (longtemps) « la manière dont les habitants de la capitale transmutent le tragique en littérature » et le goût que l’on peut développer pour cette « catastrophe urbaine » et politique.
Car c’est de magie avant tout qu’il s’agit au fil des pages - et des deux reportages photos adjoints - du merveilleux de la transmutation de l’horreur en beauté, de l’impossible en rêve, de la crasse des décharges en mine d’or - au sens propre pour ce mafieux « cacique du parti » campé par Alma Guillermoprieto dans « Les ordures » - vision tour à tour fantastique et surréaliste de l’amour-fou d’un peuple apte à saisir le moindre événement, la première modification architecturale, l’érection d’une sculpture de « Diane » affublée d’un pagne pour en faire un conte égrenant le présent comme s’il était déjà passé, et forçant l’avenir par le pouvoir de l’imaginaire.
Divisée en cinq parties de taille inégale, l’anthologie de Rubén Gallo - passeur aux allures d’un Gatsby - offre la part belle au chapitre « Désastres » : témoignages des survivants du tremblement de terre de 1985 recueillis par Elena Poniatowska - célèbre pour son ouvrage sur le massacre des étudiants en 1968 -, bureaucratie universitaire de l’Unam « plus grande université du monde, avec plus de 250 000 étudiants et 30 000 professeurs (…) fruit d’un projet utopique des années 1950 », interviews de gestionnaires de la ville confrontés à l’impossible administration des déchets et sources de pollution. En reflet, les nouvelles ironiques de Jorge Ibargüengoitia et de Guillermo Sheridan constituent le pivot de l’ouvrage. « Lieux et monuments » (chapitre un) et « Les bonnes » d’Augusto Monterroso et Guadalupe Loaeza (chapitre cinq) fonctionnent comme des balanciers : immeubles et gens se fondent dans ce magma urbain pour donner corps à un monstre de légende, capable d’abriter nos désirs et nos peurs, et de les nourrir de sa force aveugle. Éparpillées dans les « recoins les plus secrets et les plus étranges de la métropole », les voix de ces « flâneurs », parmi lesquels on retrouve avec bonheur Fabrizio Mejia Madrid 2 pour arpenter la plus longue avenue du monde, ou Carlos Monsivàis dans ses nuits blanches, nous offrent en exorcisme ce « quelque chose de tellement ambiguë que nul ne saurait dire de quoi il s’agit. La ville entière est faite de cette obscurité. »

1La plus limpide région, Folio
2 Lmda N°69

Mexico
Chroniques littéraires
d’une mégapole baroque

Anthologie de Rubén Gallo
Traduit de l’espagnol
(Mexique) par S. Doubin
Autrement
280 pages, 19

Mexico, les signes du chaos Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
LMDA papier n°88
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