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L'Anachronique Cartes de vœux

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Éric Holder

Nous arrivons au milieu des mois en R. Dans les rues, la pluie, le vent, le froid, les couleurs issues du ciment et du blanc d’Espagne, la lumière capable, à midi, de s’assombrir encore, comme si un nuage s’était glissé sous la couche des autres, cravachent notre allure. Nous ne nous arrêtons plus devant les vitrines où nos silhouettes reflètent une espèce homogène, inattentive, d’individus logés en leurs terriers. Il arrive cependant que l’un de nous brandisse un parapluie, saute dans le caniveau, y patauge en chantant, sous l’œil d’un policier soupçonneux.
Une épaisseur, un voile d’eau nous séparent, à l’air libre, de notre environnement, gommant la netteté des contours, la profondeur des perspectives. Un événement exceptionnel surviendrait-il à quelques mètres de là - un jars, par exemple, traversant au carrefour, les ailes déployées, cou rentré, soufflant pour impressionner les voitures - il me concerne moins qu’en une autre saison. Peu de temps après, je ne suis plus sûr de n’avoir pas rêvé.
Nous nous transformons en apparitions. De simples passants. Notre parangon, à huit heures du soir, bondit sur un trottoir, Porte d’Ivry, pour éviter un taxi. Certains ne pensent pas à lui sans envie. Il fait gris Nostalgie de Paris.
Qu’est-ce qu’un passant ? Je me suis posé la question récemment, après avoir lu Les Passants, par Christian Giudicelli - rien à voir avec le roman homonyme de Jacques Chauviré, paru six ans plus tôt. Christian Giudicelli ressuscite quelques-uns de ces êtres inattendus en compagnie de qui le hasard, la nécessité, nous ont valu de vivre des moments étranges, marginaux. Il n’était pas prévu de nous rencontrer dans nos existences différentes. Nous sommes pourtant devenus intimes. Nos goûts, nos préoccupations dissemblables nous tiraient des sourires à part. Nos chemins se sont éloignés de façon aussi naturelle qu’ils s’étaient rejoints.
Depuis, le (la) passant (e) traverse notre mémoire avec une telle fraîcheur que nous pouvons nous demander si, au dernier moment, à l’heure de la fermeture, avant d’aller gambader, ce ne sera pas son profil dont nous nous rappellerons.
L’auteur convoque une petite fille rouée qui s’appelait Yvonne, un machiniste à l’opéra de Nîmes, quelques célébrités et des amants fortuits. La tentation est grande, après lui, de dresser un inventaire des passagers parmi les plus marquants qui soient montés à bord, les plus improbables. Quelles sont les conditions d’inscription ? Avoir ouvert une fenêtre sur un monde parallèle ; nous être séparés en suscitant encore la curiosité. Ainsi Giudicelli peut-il écrire à propos de son ultime passant, c’est l’avant-dernière phrase du livre, « J’eus envie (…) de marcher vers lui et de l’interroger. »
Établir une telle liste rassure. À ce compte, nous figurons dans cent autres. S’il n’est pas sûr qu’à cet instant précis, (ici un prénom) pense à nous, soyons en partie consolés : nous surgissons peut-être dans l’esprit d’un étudiant canadien que nous avons pris en stop autrefois.
Au creux des mois en R, nous avons craint de nous éteindre comme la lumière. Nous envoyons et recevons des messages depuis le royaume des ombres, au dos de cartes postales. Le nouvel an fête les passants : les fermiers qui nous avaient accueillis un soir d’orage ; l’ami établi en Grèce ; la voisine qui gardait les chats ; le professeur quand nous avions seize ans ; le clarinettiste rencontré dans un train.
À tous, les mêmes mots : longue vie, santé, prospérité… Nous n’en revenons pas, d’avoir gratté un an sur le néant. D’en entamer un autre. Ça marche, la preuve ! l’espoir, la fidélité, la gratitude, la gentillesse. Pas pour l’éternité, c’est sûr… Assez pour sauvegarder un moment étonnant, vécu au lieu d’avoir été rêvé, si ténu, et dont nous rappelons pourtant, année après année, la pérennité.
Presque rien. Un décor agréable, un inconnu complice, une partie de pêche, le mariage d’un autre, une promenade en forêt. Voilà ce que nous nous réjouissons d’avoir protégé en premier de la nuit ?
Les enfants ont raison : cartes de vœux, cartes de vieux… Cartes de personnes, quel que soit leur âge, qui ont roulé leur bosse, d’une certaine façon. Elles savent la légèreté des beaux souvenirs et restent épatées de leur parenté avec l’impalpable. Dans leur malle personnelle, un déjeuner sur l’herbe, deux femmes courant sur la plage, l’été 1976.
Peut-on, en retour de leurs souhaits, leur adresser un carton signé Jean Tardieu ? Les trois derniers quatrains de Passant qui rentre ravi.

« Je suis la rencontre obscure
je vais je viens je connais
la terre dort dans mes mains
le temps c’est moi c’est ici

C’est moi c’est vous et les heures
le ciel la rue et le vent
chacun chacun comme nous
regarde entend et s’étonne

Printemps probables délices
espace ruses clartés
visage de vie et de mort


 je parle à des lèvres scellées. »

Cartes de vœux Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.