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Domaine étranger Pendant la nuit

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Thierry Cecille

De 1935 à 1944, Mihail Sebastian, dans la détresse et l’angoisse, parvient à demeurer ce qu’il veut être : un écrivain roumain - et juif. Réédition de son « Journal ».

Journal (1935-1944)

Norman Manea, dans un des livres marquants de l’année 2006, Le Retour du hooligan (Lmda N°76), rendait hommage, jusque dans son titre, à une figure pour lui tutélaire - et complexe : Mihail Sebastian. Assez peu connu chez nous, Sebastian faisait en Roumanie, depuis déjà quelques années, un retour en force, sous le signe de la polémique tout d’abord, témoin - et victime - d’un passé qui ne passe pas. Son Journal avait en effet dû attendre la chute du communisme pour être publié : en 1996, on y découvrait, avec colère ou honte, une « Roumanie entre chien et loup », mère « blafarde » elle aussi, comme l’écrit ici Edgar Reichmann dans son intéressante préface. Sans doute les terreurs et les silences de l’ère Ceaucescu avaient-ils enterré les interrogations nécessaires sur cette période - elles resurgissaient alors, d’autant plus violentes. Quelles formes avait prises la collaboration de la Roumanie avec l’Allemagne nazie ? Qu’en avait-il été de l’extermination, dans ce pays qui, comme la Pologne, avait été à la fois terre d’accueil et de haine pour les juifs, si nombreux ?
Ce Journal doit se lire avec patience, c’est une progressive, lente et longue descente aux Enfers - de la peur, de la solitude, de l’abandon et du désespoir. Dans les premières pages, en 1935, Sebastian, à 28 ans (il est né en 1907 et cette réédition bienvenue fête l’anniversaire de sa naissance), est un écrivain quelque peu scandaleux, considéré par beaucoup comme un juif renégat. Deux ouvrages importants l’ont placé au cœur de la vie littéraire roumaine mais ont aussi alimenté polémiques et malentendus : Comment je suis devenu un hooligan et surtout Depuis deux mille ans, préfacé par Nae Ionescu, « penseur » nationaliste et antisémite, théoricien fasciste inspiré par (ou plagiant) Spengler, Schmitt ou Maurras. La Roumanie penche alors en effet de plus en plus vers l’Allemagne nazie, que son extrême droite, les « légionnaires » de la Garde de fer, envie avec fascination. Curieusement, alors que la menace de la guerre se précise et que les premières mesures contre les juifs sont mises en place, Sebastian continue à entretenir un dialogue, parfois agacé mais souvent plein d’admiration, avec Ionescu - et une relation assez forte avec Mircea Eliade, ami de jeunesse, qui défend pourtant des positions de plus en plus ouvertement nationalistes et antisémites. Sebastian pressent les désastres à venir, mais, dans cette première partie du journal, son quotidien est surtout consacré aux tourments de l’écriture, à des chroniques musicales (la recension des morceaux qu’il admire nous lasse parfois…) et à des liaisons amoureuses passionnées et décevantes : lecteur assidu de Proust, Sebastian se décrit, entre l’apitoiement et l’ironie, comme un Swann en proie à des successives et torturantes Odette. Quelque peu cyclothymique, il oscille de l’enthousiasme au « cafard » (en français dans le texte) et sa tendance au ressassement introspectif le rapproche parfois des excès d’Amiel. Pourtant, à partir de 1939, l’Histoire envahit son existence et ses pensées - l’introspection devient alors clairvoyance et attention en alerte. Le péril aiguise, semble-t-il, sa conscience - et l’égocentrisme cède souvent la place à la compassion.
Au jour le jour, nous pouvons suivre l’inexorable défaite, entachée de lâcheté, des démocraties face à Hitler, le « coup ahurissant » que fut le pacte germano-soviétique, les succès foudroyants puis la reculade des armées hitlériennes, Stalingrad étant bien la « catastrophe » de cette tragédie en plusieurs actes. En même temps, bien sûr, se resserre l’étau, se fait plus implacable la sentence de mort qui pèse sur les juifs : humiliations, privation de droits, contributions financières « volontaires » puis travaux forcés (dantesques déblaiements et déneigements) et enfin rafles et déportations. Sebastian n’ignore rien des pogroms (celui de Iasi fera en deux jours une dizaine de milliers de victimes), des meurtres de masse qui accompagnent l’avancée allemande, des camps - il fait même l’hypothèse que l’extermination des juifs sera la seule promesse qu’Hitler parviendra à remplir ! La solitude et le dénuement deviennent son lot : il ne peut plus exercer sa profession d’avocat, journaux et théâtres pour lesquels il écrivait lui sont fermés, Ionescu, dont il s’était enfin éloigné, est mort, Eliade, toujours aussi fanatiquement fasciste, est secrétaire d’ambassade à Lisbonne. Seul Eugène Ionesco partage avec lui, parfois, l’angoisse de ces jours, avant de partir pour un exil inespéré en France - et les Bibesco (qui furent parmi les modèles dont Proust s’inspira pour l’esprit Guermantes) lui offrent quelques parenthèses bienvenues dans leur propriété éloignée de Bucarest. Les semaines, les mois, les années se succèdent, et il s’étonne régulièrement d’être encore en vie : il pense souvent au suicide mais résiste en lisant Shakespeare et Balzac, il rêve de fuir mais s’entête à demeurer jusqu’au bout un Juif roumain, un Roumain juif - jusqu’à ce que l’Armée rouge vienne le délivrer. Même alors il « passe toujours à côté de la vie », il ne cède pas au conformisme communiste ambiant, ne rentre pas dans le rang, mais « il est difficile de vivre de refus » et sa situation demeure précaire.
En 1945, enfin, il consent à être nommé conseiller de presse au ministère des Affaires étrangères, mais, ultime ironie du sort, il meurt alors - renversé par un camion soviétique !

Journal
Mihail Sebastian
Traduit du roumain
par Alain Paruit
Stock
568 pages, 24

Pendant la nuit Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.
LMDA PDF n°89
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