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Poches La misère d’en face

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Benoît Legemble

Dans la Vienne prolétarienne des années 70, Thomas Bernhard décrit le quotidien d’un amputé obsédé de philosophie. Satirique à souhait.

Les Mange-pas-cher

Ce qu’il y a de bien avec Thomas Bernhard (1931-1989), c’est qu’on sait toujours à quoi s’attendre. La maison nous est familière, à chaque fois, même si un ou deux meubles changent. Prenons l’exemple des Mange-pas-cher, avec son personnage principal, un dénommé Koller, adepte de la pensée de l’esprit hanté par l’idée d’écrire un essai sur la science physiognomonique. Rien de nouveau a priori : la névrose obsessionnelle est une constante chez l’auteur salzbourgeois, de même que l’idéal totalitaire de ses protagonistes pour la philosophie. Et pourtant, c’est l’ancrage du récit qui va venir ici bouleverser la donne.
Car Les Mange-pas-cher raconte aussi l’histoire de la middle-class autrichienne au quotidien, à travers le prisme de la Cantine Publique Viennoise. Là vont confluer différents personnages, tels Goldschmidt, le libraire, ou encore Einzig, l’enseignant qui se dit aristocrate et mange à la table des prolos. C’est qu’à la croisée des destins, sur les quelques centimètres mètres carrés de la CPV, il s’agit de dire le mélange social irrationnel, de confronter les existences jusqu’au non-sens en faisant cohabiter les étrangers. Koller l’a remarqué, les « mange-pas-cher » ont juste en commun l’inhibition et la force de l’habitude. Ils mangent ensemble parce qu’ils ont l’obsession des premiers prix, et parce qu’ils ont en usage de se côtoyer tous les jours. Les « mange-pas-cher », c’est ceux qu’on ne remarque pas, ou plutôt qu’on ne remarque plus. Ce sont les habitués, qui traînent leurs guêtres des dizaines d’années dans le réfectoire de la CPV. Des camarades de misère et d’indulgence, en somme. Chez eux, on trouve tout et rien, sauf cette « curiosité sale et repoussante à laquelle les gens comme lui (Koller) sont confrontés partout et constamment ». Alors quand l’infirme vient à leur table, ils l’acceptent naturellement, lui font une place, sans tambours ni trompettes.
En eux, Koller voit un bon sujet d’étude, une « digression peu excusable », mais en même temps « l’accomplissement de la mission de sa vie ». C’est que la rédaction d’un essai sur les mange-pas-cher constituerait le point d’orgue de ses travaux menés depuis des années. La genèse de cet essai remonte à l’amputation de sa jambe gauche, suite à la morsure d’un chien il y a une quinzaine d’années de cela. Une situation rêvée, en quelque sorte, comme si l’amputation physique devenait synonyme de naissance et d’intronisation aux sciences de l’esprit. Dès lors commence la faillite intellectuelle de Koller, à travers la confiscation solipsiste d’une pensée tout entière tournée vers elle-même, au-delà du partage et de l’aspiration à l’universalité. L’ambition pathologique de Koller se referme alors sur elle-même : « ne posséder cette pensée que pour lui seul et l’élargir pour lui-même jusqu’à l’extrême limite. »
Pris en étau entre génie et stérilité, Koller se verra très tôt victime d’inflammation des yeux, comme s’il était question de stigmatiser l’abus tératologique du personnage à l’égard de ses lectures scientifiques. Peu à peu, il apparaît comme prisonnier d’un monde qu’il s’est créé sur mesure, « exclusivement », jusqu’à l’enfermement. En lui, Bernhard cristallisera une fois de plus « le Malade de l’esprit », à travers une esthétique narcissique de la Verfremdung, c’est-à-dire une pensée de la différence à l’intérieur de laquelle Koller s’érige une tour d’ivoire qui le conduira à revoir son infirmité comme une « plus haute consécration de l’esprit ». Comme s’il s’agissait de faire de la maladie le terreau de la théorie.
Entre folie et déraison, Les Mange-pas-cher apparaît comme une œuvre singulière, originale et dérangeante. Peut-être une œuvre qui viendrait à saisir la part de misanthropie inclus à l’intérieur de tout pacte humaniste, à l’image des nécessités monstrueuses de Koller : c’est qu’ « il avait besoin d’êtres humains autour de lui pour pouvoir être seul ».

Les Mange-
pas-cher

Thomas
Bernhard
Traduit
de l’allemand
par Claude Porcell
Folio
132 pages, 5,60

La misère d’en face Par Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.