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Égarés, oubliés Des toiles, des livres, des scouts

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par Éric Dussert

Peintre et écrivain, Marie de la Hire (née en 1878) est restée dans l’ombre de son époux Jean de la Hire malgré ses fréquentations d’avant-garde. Trop bourgeoise pour changer ?.

Marie de la Hire au beau nom de colère aura connu une vie riche. Type de la femme accomplie, elle aurait pu rencontrer une reconnaissance plus durable n’était la faute du destin sans doute, et celle de son époux probablement aussi. Petite-fille et fille de pasteur, Marie Weyrich est née à Rouillé, près de Poitiers, le 20 mars 1878. Cadette d’une fratrie de sept enfants, elle passa toute son enfance sous les soleils de Castres. Manifestant quelque talent pour le dessin, on lui donna un maître, Léopold Batut, qui lui permit d’exposer en 1893, à l’âge de 15 ans, sa première toile, laquelle reçut la médaille d’or et l’hommage d’une acquisition de collectionneur. Peintre des fleurs, la jeune Méridionale frappera plus tard les amateurs par ses capacités de coloriste, comme ses toiles à venir sauront se distinguer par leur force d’expression, la richesse de son inspiration et la qualité de ses lignes. Son « Marché de Montauban », très remarqué au Grand Palais en 1922, marquera le faîte de sa gloire.
Après son premier succès, elle est l’élève de Gustave Colin à Saint-Jean-de-Luz, de Georges Castex à Toulouse, elle monte à Paris où elle fréquente les galeries du Louvre, l’École des Beaux-Arts, les ateliers d’Eugène Favier, H. E. Delacroix, Gustave Colin. C’est à cette époque, qu’elle évoque dans son premier roman, Modèle nu (Bibliothèque indépendante d’édition, 1908), qu’elle côtoie parmi les élèves de l’Académie Cormon, que fréquentèrent en leur temps Van Gogh, Toulouse-Lautrec ou Émile Bernard, un certain Francis Picabia…
Le 21 mai 1904, elle convole avec le beau Adolphe d’Espie de La Hire, dit Jean de la Hire, prometteur auteur, spécialisé dans le roman de science fiction à succès - sa Roue fulgurante de 1908 a été rééditée par les éditions Ombres en 1998. C’est un « ménage d’artiste », du nom de la collection qu’ils vont inaugurer au sein de leur propre maison d’édition, la Bibliothèque Indépendante d’édition. Là, sous son nom de jeune fille, Marie Weyrich publie en novembre 1904 son premier recueil de vers, Les Jardins du soir remarqué par Léon Bocquet ou Léon Deubel, tandis que sa peinture lui vaut les palmes académiques. En 1898 déjà, à l’âge de 20 ans, elle avait envoyé aux Jeux Floraux de Toulouse un poème qui fut couronné puis avait adressé des vers à la Revue des poètes (1898-1905), à la Revue d’Égypte et d’Orient (1903-1905), à la Nouvelle Revue (février 1905), à la Petite Revue méridionale, à la Flamme ou au Beffroi. Toute nimbée de mystère et de passion, sa poésie lui ouvre des portes. Très vite, elle prend la direction de la Revue des lettres (1904-1907) au sein de la maison d’édition familiale, puis multiplie les publications, aux côtés de son mari, dont elle illustre à l’occasion les écrits. Mais l’influence de ce dernier n’est pas formidable : tout occupé à pondre du feuilleton, il s’est fait une spécialité du roman populaire, et notamment du récit scout auquel Marie de la Hire, puisqu’elle a pris son nom, finit par s’adonner elle aussi (Deux Boy-scouts à Paris, Larousse, 1916), lorsqu’elle ne feuilletonne pas à propos de Duchesse et midinette… dans le registre bas-bleu (M.Sanouillet). Reste aussi La Femme française, son activité pendant la guerre (Tallandier, 1917) où, au-delà du féminisme montant, perce ce patriotisme d’époque, piètre inspirateur.
Pour autant, elle se tient au fait de l’actualité esthétique et, après avoir circonvenu son ancien compagnon d’études Picabia - leurs ateliers étaient à la même adresse, 15 rue Hégésippe-Moreau dans le 18e arrondissement de Paris -, elle l’interroge et organise un dîner avec Bernard Grasset, le peintre et sa femme à l’issu duquel elle donne à l’éditeur le premier texte critique sur la peinture de Picabia (La Cible, 1920). Gabriela Picabia fournit quant à elle Jésus-Christ Rastaquouère. Grasset s’empresse de ne rien éditer, tout en flétrissant l’écrit de Marie de la Hire qu’il juge mauvais. Les deux auteurs font alors cause commune et Marie devient l’agent de Picabia auprès d’Albin Michel et du Sans Pareil dont le patron, René Hilsum, finit par accepter le livre de Picabia. Le galeriste Povolozky hérite quant à lui du texte de Marie en contrepartie d’une exposition de Picabia. Le vernissage est un succès, le Tout-Paris s’y presse.
Femme de lettres et de tête plutôt bourgeoise, Marie de la Hire réussit là un coup et poursuit son apprentissage des avant-gardes. Elle les côtoie de près. Sa signature est reconnaissable sur « L’Œil cacodylate » de Picabia, aux côtés de celles de Man Ray, de Poulenc ou de Ribemont-Dessaignes, et c’est chez elle, près de la place Clichy que se déroulent certaines des soirées où les surréalistes expérimentent les vertus du « sommeil automatique ». Certes, on a peine à croire que la femme de lettres qui publiera un peu plus tard Les Crépuscules au jardin (Sansot-Chiberre, 1923) voit là autre chose qu’amusements mondains. Ses vers sont d’un classicisme total qui évoquent « Les sonores baisers du vent dans les forêts/ Comme un flot tourmenté soulèvent ma poitrine/ Je ne respire plus qu’un ciel tranquille et frais/ Où montent des brouillards de rose et de résine ». On est loin de dada ou de Cendrars, qu’elle fréquente aussi.
Reste une question : l’esthétique de Marie de la Hire aurait-elle évolué si la vie lui en avait laissé le temps ? Le 25 avril 1925, elle s’est éteinte à Avallon, trop tôt pour asseoir une notoriété, mais assez pour ne pas assister à la déchéance de son époux Jean de la Hire, condamné à dix ans de prison à la Libération pour avoir dirigé « l’aryanisation » des éditions Ferenczi pendant l’Occupation. Voilà qui n’était pas fait pour que l’on se souvienne de Marie de la Hire dont les toiles, elles, se vendent encore.

Des toiles, des livres, des scouts Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.