Né en 1930, Antoine Bourseiller a de nombreuses histoires à raconter, en plus de la sienne. Le texte qui paraît chez Actes Sud porte en sous-titre « histoires d’une vie » : comme si son auteur savait bien, en tant que metteur en scène, que le danger vient toujours d’un seul récit. Là en effet où la tentation autobiographique figerait l’existence, le choix fait dans Sans relâche de se raconter au travers d’histoires plurielles et d’anecdotes donne à la vie revisitée par le souvenir un incessant mouvement.
En 1960, Antoine Bourseiller reçoit le prix du Concours des jeunes compagnies, dispositif essentiel qui existait alors depuis 1946 et qui s’était imposé comme l’un des moteurs de la découverte de nouveaux talents en vue de promouvoir la décentralisation théâtrale. Il a depuis participé à de multiples projets durant près de cinquante ans, côtoyant Genet et Armand Gatti, Danièle Delorme et Camus, Vilar, Barrault, Jean-Luc Godard et Günther Grass… Sans relâche revient sur ces années de mise en scène curieuse et éclectique, où Antoine Bourseiller rencontre Genet pour monter avec lui Le Balcon en 1969, se penche sur le théâtre libertin du XVIIe siècle (La Mort d’Agrippine, de Cyrano de Bergerac), crée pour la première fois en France Dans la jungle des villes de Brecht avant de partir en tournée pour une Phèdre africaine dont il y aura quelque trois cents représentations… C’est en suivant le fil de cette existence pleine de théâtre, et de visages connus dont la mémoire égrène les rencontres et les noms qu’Antoine Bourseiller nous livre les histoires de sa vie. Le souvenir y voyage de Paris à Moscou, de Tamatave à Venice Californie, formant un journal en forme de kaléidoscope qui tire toute sa beauté d’être, à l’image de la mémoire, toujours changeant : « Ainsi, dans ses va-et-vient, la mémoire se promène ».
L’écriture fait de ces souvenirs un théâtre de l’intime : chaque lieu en appelle un autre ; chaque souvenir en suscite un qui lui est proche ; chaque moment ouvre sur un autre moment, contigu. Les rencontres, les figures de femmes se croisent, se ressemblent et se superposent de même que les villes semblent communiquer. Antoine Bourseiller écrit un journal à la manière d’un homme de théâtre, en discontinuité, sans laisser son récit faire de sa vie un voyage immobile, mais à l’inverse, joignant l’unique au multiple, en en disséminant les instants et les faits. Il alterne les saynètes comiques (dont une extraordinaire visite au président des Seychelles alors que la troupe joue son Phèdre) et les moments de pure grâce, ou encore de deuil. Car Sans relâche est également écrit pour la figure « princière, étincelante, heureuse » qui règne sur cette galerie de souvenirs et de disparus, en faisant résonner de page en page l’éclat de son rire : la comédienne Chantal Darget, à laquelle le récit prête un nom royal, Balkis, épouse d’Antoine Bourseiller et disparue en 1988.
Mémoires d’un homme de théâtre, donc ? Pas uniquement. Sans relâche est avant tout un texte pudique, un texte d’écrivain, d’amoureux de scène. Souvent sensible dans sa prose, Antoine Bourseiller transmet surtout le goût de ce que le théâtre communique, de ce qu’il dit de l’être et de l’humain. À la fois journal intime, chronique, et texte mémorial, Sans relâche est aussi une lettre à sa fille : Marie, plus connue des aficionados de tauromachie sous le nom de Marie Sara, première femme du métier en France. C’est à elle qu’Antoine Bourseiller confie son livre et sa mémoire : hommage à celle qui a choisi le devant de la scène en optant pour le sable de l’arène, et façon pour lui peut-être d’ajouter cette histoire de plus à toutes celles qu’il connaît déjà.
Sans relÂche
Histoires
d’une vie
Antoine
Bourseiller
Actes Sud
260 pages, 19,89 €
Théâtre Une vie sans relâche
février 2008 | Le Matricule des Anges n°90
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Écrit au hasard du souvenir, le journal intime d’Antoine Bouseiller dessine le portrait d’un homme en mouvement passionné par la scène et la vie.
Un livre
Une vie sans relâche
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°90
, février 2008.