Depuis plus d’un an je garde la chambre. A-t-elle écrit dans son cahier. De ma fenêtre, la nuit, je regarde l’immeuble d’en face et je ne vois personne. A-t-elle écrit. Je ne vois personne et je reviens à ma table pour marquer ça dans mon cahier, que la nuit, de ma fenêtre, je ne vois personne. Mon cahier que vous lirez certainement un jour. A-t-elle écrit. Aucune silhouette dans aucune fenêtre en face, mais à une heure du matin c’est un peu normal. Toutes les nuits, je décoince et me retrouve debout dans ma cuisine en culotte et en vieux sweat, avec mes pieds nus hésitants quand je tourne pour me trouver un mégot à rallumer, mes pieds qui tâtonnent, comme j’ai vu faire dans les téléfilms quand la fille se lève au milieu la nuit dans la chambre qu’elle ne connaît pas. Comme si moi je ne la connaissais pas la mienne, comme si toutes les choses qui sont entre ces quatre murs n’étaient pas, à force, autant en moi que moi je suis en elles, comme si j’avais encore une chance de, non, ça va. A-t-elle écrit dans son cahier. Une chance d’encore pouvoir les sortir de moi. Et moi d’elles. Tarée que je suis. A-t-elle écrit. Tarée totale, parce que j’espère quoi, des fenêtres de l’immeuble d’en face de chez moi. J’attends quoi. Faudrait que je me remette à bouger, que j’aille voir plus loin, que j’enfile un jean, des sandales, du rimmel, me sorte d’ici. Si ça se trouve, cette nuit, juste un peu plus loin, sur le boulevard, ou du côté de la gare, cette nuit quelqu’un espère rencontrer quelqu’un dans mon genre. A-t-elle écrit. Un, ou même plusieurs, des gens pas lourds, qui traînent pas loin, en train de désespérer qu’existe quelqu’un comme moi. Comme moi qui ne crois plus trop qu’il existe des êtres pas lourds. Cette vieille impression qui revient toutes les nuits, maintenant, d’être un feu d’artifice allumé trop tôt, qui s’éparpille et se gaspille à l’abri des regards. À l’abri de tout. Dernières étincelles pour rien ni personne. A-t-elle écrit. Chronique, cette envie qu’on me voie. Ça m’était quand même un peu passé, à une é
Et moi, depuis, m’arrive la nuit de me relever pour regarder les fenêtres en face de chez moi. En me demandant combien de filles seules dans cette ville gardent la chambre comme elle le faisait. Et, certaines nuits, je pourrais presque jurer apercevoir à l’une ou l’autre une silhouette blanche tournée vers moi. Et, quand je me détourne, je me demande combien nous sommes à simplement revenir à nos tables pour écrire qu’on pourrait presque jurer apercevoir une silhouette blanche à une fenêtre d’en face.
Des plans sur la moquette Qui verra vivra
février 2008 | Le Matricule des Anges n°90
| par
Jacques Serena
Qui verra vivra
Par
Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°90
, février 2008.