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L'Anachronique Un copain en or

mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91 | par Éric Holder

Baisse la tête quand mars arrive. Le gros de l’hiver est passé, mais subsistent quelques jours retardataires. On craint près de Bordeaux le marz martera (qui cogne). Il tue, dit-on, les vaches, les veaux, et même les mairaus (gardiens). Ce doit être le choc thermique, comme pour les orangers ou les fuchsias.
Je n’ai pas éprouvé la peur du manque, cette année. De n’avoir plus rien à croûter, pas de bois pour le feu, quand une pièce de vingt cents paraît en or, surtout celle qui manque. Un copain m’a protégé.
Je trouvais extraordinaire, au début, la coïncidence qui l’amenait avec une bouteille de pineau, alors que nous aurions dû choquer nos verres d’eau ; avec des œufs, quand ne restait plus que du pain ; avec une remorque pleine de silles, ces chutes de scierie qui flambent joliment, le lendemain où j’avais épuisé le bûcher. J’ignorais qu’à la campagne, on interroge les traces, on déchiffre les changements. La cheminée ne fume plus, les poubelles sont étiques, on entend certes chanter, mais plus guère la moto. On sourit en coin, la vie d’artiste… L’amusant est d’y suivre les itinéraires marqués « gratuit », jalonnés de jardins botaniques, de couchers de soleil, de rencontres inédites.
Dont celle de « l’homme providentiel ». Il donne à réviser une certaine idée de l’homme, si jamais elle était aigrie ; de la providence, pour peu qu’on en doute.
Michel est un roi, comme lui généreux, étanche à ce qui ne concerne pas le royaume, et que sa cour ennuie parfois. Il travaille sans interruption, il travaille sans y penser, des mains œuvrant ici quand la tête bâtit là-bas. Né fils de modestes agriculteurs à la fin des années 40, il administre à présent, avec une sorte de génie, des pinèdes, une entreprise forestière, des vignes, un château, des propriétés. Ses voitures dessinent une gamme étendue entre l’utilitaire crottée et la berline au doux bruit de portière. Son problème, en ce moment, se situe en Corée, où ont été envoyées des bouteilles dont les étiquettes sont fripées, indignes. Il enrage que personne ne s’en soit aperçu, et de n’avoir pas été lui-même derrière l’étiqueteuse.
Tu rentres au château par le sous-sol, où se concentrent les activités. Tu ôtes tes bottes. À l’étage, resté propre, on évite d’allumer les lumières afin de ne pas gaspiller.
Les largesses de Michel trouvent d’autres façons de s’exprimer. Pas un bout de boudin, à la « tue-cochon », sans que j’en aie ma part. À chaque récolte, des pommes de terre m’attendent. Au lieu d’une salade, Michel en coupe souvent deux.
Je lui prête un coup de main en échange. Nous allons tailler les érables et nettoyer la terrasse d’une ferme inoccupée. J’enlève, à la scierie, les silles qui encombrent le plateau tandis qu’il épointe des piquets de vigne, par centaines. Je réalise seulement le soir que nous avons travaillé à un doigt de nous le couper. Décidément, je ne crains rien avec lui.
Il maîtrise quantité d’outils, des plus sophistiqués aux plus rudimentaires. Il connaît les gestes adaptés à chacun, la meilleure façon de s’en servir. C’est par cœur, ou dans le sang, qu’il sait toutes les étapes liées à chaque opération, celles qui évitent de perdre du temps, ou l’index.
À la « tue-cochon », cette année, le bestiau pesait cent quarante kilos. Une fois dans la baignoire, après qu’on l’eut ébouillanté, je reçus en main un grattoir pas plus tranchant que l’épaisseur de son fer, et datant de l’Âge du même. Je séparais à grand-peine le crin de la couenne, en observant les finitions de Michel, comme s’il avait eu un rasoir, derrière les oreilles, au-dessus du groin, et le plus délicat, entre les ongles de pieds.

 À quoi ça sert de lire, hein ? demande-t-il quelquefois, dans un accès de fierté.
Lorsqu’il me rend visite, il reste en général pétrifié sur le seuil depuis lequel le guettent trois mille volumes.

 A rien, je réponds.

 Allons ! s’insurge-t-il, soudain empourpré. Il ne faut pas dire des choses pareilles !
Comment expliquer à Michel, amoureux de sa terre, que je l’ai déjà croisé dans Zola, Giono, ou Pagnol ? Qu’il montre maintenant comment manier le grattoir, les sensations en plus : le froid de la pointe du jour, l’onctuosité de la peau chaude sous la paume. On entend le « pioc ! » esseulé et sonore d’un engoulevent. À quoi servent les livres ? À se trouver là, ensemble, échangeant des jurons, les habits fumant. À goûter d’autres existences.
Il y a longtemps que je n’ai bu le bon vin qui va avec. Je propose à Michel un troc : qu’il m’embauche contre un peu de 2002, subtil et féminin.
Quand il arrive au bout du chemin, à l’heure dite, dans son 4X4 attelé d’outils, tu te doutes que vous allez vous enfoncer dans la sauvagerie. Pas à ce point. Dix minutes de passes sablonneuses, de chemins étroits suffisent à t’emmener en pays inconnu. Les hautes herbes de la savane y poussent entre des flaques. Sur les terres gagnées au marais, on a planté des pins. C’est exactement ce que vous vous apprêtez à faire, en sortant les baudriers de la remorque. Ils contiendront les repiquages, guère plus grands que des queues d’écureuils, touffus de même, vert tendre.
Le soleil a beau ne suivre qu’une petite course dans le ciel, il chauffe tel qu’en mai. Pas de vent, et l’on n’a pas emporté d’eau. Quand tu retournes t’approvisionner en plumets, tu notes que vous en avez déjà vidé quatre barquettes. Tu n’attends pas le soir, comme à la scierie, pour qu’une évidence te tombe dessus. Vous avez planté trois cents pins.

 Tu chantais ? demande Michel quand tu reviens.

Un copain en or Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°91 , mars 2008.