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Domaine étranger Osmoses en tout genre

mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91 | par Anthony Dufraisse

Faisant de la boîte le symbole du désir et de la part cachée de toute création, Toby Olson s’attache à fondre l’œuvre de Marcel Duchamp dans la narrativité. Un art de la conjugaison et de la concordance qui produit d’étranges effets de vérité.

Les formes contemporaines de la fiction sont mouvantes, labyrinthiques. Ou parfaitement inattendues, comme dans La Boîte blonde, signée Toby Olson, écrivain américain né en 1937 dont on a pu lire Seaview et La Femme qui échappa à la honte au Serpent à plumes. En un geste parent de celui de Marcel Duchamp, c’est le pendant diagonal, sinon d’équivalent littéraire de l’œuvre de ce dernier, que Toby Olson nous propose.
Le titre déjà, si l’on sait l’amour de Duchamp pour les boîtes, annonce la couleur et la forme qu’Olson veut donner à son livre : quelque chose comme un micro-musée duchampien éclaté, conçu non pas selon l’univers des réalités tridimensionnelles mais comme un monde ouvert aux entités de la quatrième dimension. Un univers donc, parfaitement adapté à ce palpeur de fantômes, ce « missionnaire de l’insolence », aimant mieux respirer que travailler, que fut Marcel Duchamp (1887-1968), un des très rares artistes français à avoir demandé et obtenu la nationalité américaine. Un artiste à l’humour dévastateur et très proche de la pataphysique d’Alfred Jarry, un amateur d’érotisme hiéroglyphique, qui mit une moustache à la Joconde, inventa les ready-made, introduisit la roue de bicyclette, le porte-bouteilles ou la pelle au Musée, signa des urinoirs, proposa de classer les peignes selon le nombre de leurs dents, et fabriqua des boîtes (à malices).
Fidèle à celui pour qui tout est la même chose, comme à celui qui pense que le Désir est le foyer autour duquel tout le reste tourne ou se déchaîne, Toby Olson nous emmène à Courbet, Arizona, de l’autre côté de la frontière du désert de Sonora et de Mexico, en avril 1949. Une manière de nous mettre dans le bain d’entrée en jouant avec le nom du peintre à qui l’on doit L’Origine du monde. Dans le saloon de la « Dernière chance », sont réunis les principaux protagonistes d’un tragique jeu d’échecs (dont Duchamp fut un passionné). Il y a là un vendeur de papyrus et de parfums égyptiens, un homme cossu, un « Vieux Chnoque » titubant et agitant « une carte du trésor », un cow-boy, l’artiste et son compagnon ainsi qu’un jeune couple d’étudiants en archéologie. Quelques heures plus tard, deux d’entre eux seront assassinés. Pourquoi ? Par qui ? Deux meurtres, une carte au trésor, chacun cherche à comprendre. Vingt ans plus tard, en 1969, tous ceux qui étaient présents ce soir-là, vont être amenés à se revoir dans l’espoir de connaître enfin la vérité, tandis que parallèlement, un coiffeur à la mode, Dick Delay, reconverti dans l’écriture de romans de S-F, est en train d’écrire La Boîte sertie de pierres, une nouvelle odyssée de Peter Blue, son héros, un détective privé de Philadelphie (ville dont le Musée conserve l’essentiel de l’œuvre de Duchamp). Un livre dans lequel il y aurait « des femmes sévères et érotiques », et dont l’action se situe en 2069, dans les ruines de la ville de Courbet qu’il imagine en partie détruite et contaminée par les résidus des combats qui y furent menés pour écraser une rébellion. La mission de Peter Blue consistera à examiner puis à ouvrir un objet suspect, une boîte sertie de pierres. Intrigué par le fait qu’au même moment le Philadelphia Museum of Art propose une Rétrospective Courbet, Dick Delay s’y rend, y rencontre une femme qui n’est autre que la jeune étudiante en archéologie présente, le soir des meurtres de 1949, au Last Chance Saloon… Mieux, s’aventurant dans les autres salles du musée, il découvre Etant donnés, la dernière œuvre de Marcel Duchamp. Au fond d’une petite salle, une très rustique porte de bois fermant une embrasure de briques. S’approchant ; il y distingue deux trous. Osant un regard, il aperçoit alors, par la brèche ouverte dans un second mur de briques, une femme étendue sur des branchages, « jambes écartées avec langueur, morte ou endormie », le sexe épilé ou rasé - débarrassé, dirait Duchamp, de « l’abominable fourrure abdominale ». Une femme grandeur nature, à poils mais sans poils, brandissant d’une main, une lampe à gaz, sur fond de collines boisées, avec ciel bleu et chute d’eau. (Œuvre reproduite en couleurs au début de La Boîte blonde).
Trois plans temporels donc, interférant constamment comme interfèrent sans cesse la matière romanesque - depuis certains noms de personnages jusqu’aux détails du décor - et les allusions au contenu des 94 (49 à l’envers) documents contenus dans la Boîte verte (1934), un ensemble de notes consacrées au Grand Verre (1915-1923) et mêlant le sérieux à la bouffonnerie. À l’image des machines célibataires chères à Duchamp, le roman d’Olson relève d’une machinerie d’engrenages et d’échos, de symétries et de répétitions, de mises en abyme et d’emboîtements, dont le moteur est le désir de voir et de savoir (de voir ça ?), un désir toujours frustré tant l’érotique de Duchamp n’est pas une érotique de l’acte, mais une érotique de la « puissance », de la tension énergétique présente avant tout acte. Un dépouillement dont le Grand Verre, encore appelé La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (œuvre également reproduite en couleurs, p. 127) dit toute la force d’assèchement et d’écrasement. Une tension perpétuellement palpable dans La Boîte blonde à travers la présence des personnages d’El Soltero, le Célibataire, alias Roberto Mendoza, et de Piston-Brûlant, alias le cow-boy, les deux vedettes masculines de deux troupes rivales de théâtre pornographique - troupes se disputant les faveurs d’El Malabarista, un musicien qui ressemble beaucoup au Jongleur de Centre de Gravité, onze fois mentionné dans la Boîte verte, un magicien dont la musique est seule capable d’équilibrer les pressions et de régulariser les échanges entre les partenaires sur scène.
Des correspondances qu’on ne saurait toutes recenser ici, mais qui toutes visent à abolir les frontières entre l’art et la vie. Une entreprise de désorientation qui passe par le décloisonnement des arts, l’hybridation des genres, des « opacités provisoires ». Un univers où les identités comme les lieux se métamorphosent, où des toilettes de plein air pour hippies deviennent, au soleil, une « boîte de magicien, transpercée par de douces épées », un lieu idéal pour découvrir dans un magazine, un article concernant « une femme nue à travers un mur »… Art du détournement et de la mise à distance qui passe par une culture de l’écart. Il faut refroidir l’ardeur, freiner, réfréner le désir de mise à nu des célibataires pour la Mariée, ce « réservoir à essence d’amour ». Comme le fait admirablement Olson, retardant constamment la solution de l’énigme et l’ouverture de la boîte sertie de pierres. À l’image du Nu descendant un escalier, inspiré des chronophotographies de Marey qui décomposent le mouvement, freine le temps, (Duchamp proposait de remplacer le mot tableau par le mot retard), Toby Olson met en conserve des informations, multiplie les points de vue, en maître de l’évitement. Ses personnages ne passent pratiquement jamais à l’acte - prostate, cancer des testicules, opération - tout est prétexte à délai, jusque dans le nom de Dick Delay et dans celui que Duchamp avait choisi de donner à son alter ego féminin, Rrose Sélavy, où le double R initial sonne comme un retard au démarrage.
Comme si les choses ne se donnaient qu’à la dérobée et de l’autre côté, et comme si, infiniment retardé - il a mis vingt ans à la réaliser - Etant donnés 1) la chute d’eau 2) le gaz d’éclairage, concrétisait enfin un très ancien désir d’enfance : voir à loisir, dans une crèche sacrilège, une femme nue, les bras en croix, les cuisses ouvertes, après un orgasme ou… quoi ? Viol, tragédie paysanne ? Nymphe endormie, femme se prêtant au désir des Célibataires ou des Regardeurs ? Mystère que Duchamp a enfermé derrière les murs comme Olson derrière ses mots, sa façon de jouer et de jongler avec les époques comme avec l’interdit et la maladie. À chacun ses mises en boîte et son trésor - celui qu’on enferme dans les livres ou les musées, à la fois pour le cacher et le mettre en montre. Effets d’art dont joue et se joue la construction très méditée de La Boîte blonde. Un livre qui tient autant du rébus que du jeu de l’oie, et de la richesse du délire. Un livre que nous faisons aussi en le lisant, au sens où Duchamp disait que c’est le regardeur qui fait le tableau.

La Boîte blonde
Toby Olson
Traduit de l’américain
par Bernard Hoepffner
Avec la collaboration
de Catherine Goffaux
Postface de Didier Roger
Passage du Nord-Ouest
320 pages, 21

Osmoses en tout genre Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°91 , mars 2008.
LMDA PDF n°91
4,00