Voilà (suivi de) Tu devrais venir plus souvent (suivi de) J’ai remonté la rue et j’ai croisé des fantômes
Que ce soit bien clair ce n’est pas un déballage ce n’est pas un drame c’est une conversation ». Dans Voilà, cette « conversation » dure toute la vie et occupe cinq actes, les cinq visites que ses amis rendent à Betty. Amis ? Hervé, Nelly, Ruth le sont de plus ou moins longue date… mais déjà depuis trop longtemps, peut-être, car il n’y a aucun coup de théâtre dans ces cinq visites. Aucune surprise dans ces quatre vies. Rien dans ces échanges où à chaque fois la nouveauté est un non-événement. Juste le temps qui s’écoule, imperturbable, et que les personnages laissent fuir sans pouvoir le retenir, exactement comme le chat de Betty, Henri, qui traverse et retraverse le salon, que tous appellent sans parvenir à le saisir.
« Il ne faut pas laisser le passé submerger le présent parce que si on laisse le passé submerger le présent on va à la salle de bains et on se coupe les poignets ». Englués dans un présent définitif, les personnages de Philippe Minyana construisent sans même s’en rendre compte un avenir qui n’est qu’une longue redite : plaisanteries et rires trop aimables, dernières nouvelles des enfants ou des plantes du balcon, souvenirs communs ressassés, questions déjà posées… Dans sa banalité même, ce rituel de convenances devient parfois cruel. La parole y nécrose sournoisement les êtres.
Une issue à cela ? Peut-être est-ce le sourire indulgent que semble esquisser Philippe Minyana lorsqu’il construit ses personnages. Car l’inexistence de ces êtres porte sans doute autant d’ironie que de tragique. Ironie de Hervé qui n’en finit pas d’opérer sa reconversion professionnelle. Ironie du couple qu’il forme avec Nelly, bientôt pris dans la logique statistique qui conduit un mariage sur trois à divorcer au bout de trois ans. De ne pas connaître cette « miraculeuse fécondité de l’instant » comme la formulait Levinas, et surtout de n’être pas assez sages pour assumer la durée du temps, sa pesanteur, les quatre personnages de Voilà ne passent leur vie qu’à répéter le même geste infini : chercher à attraper le chat Henri, se réapproprier le temps dans toute sa plénitude.
Voilà (suivi de) Tu devrais venir plus souvent (et) J’ai remonté la rue et j’ai croisé des fantômes de Philippe Minyana
L’Arche, 192 pages, 13 €