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Vu à la télévision Vertiges et engrenages

juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95 | par François Salvaing

N’aurait-il retenu qu’une chose des livres de Georges Perec, ce serait le goût des listes. Récemment Timothée a dressé la liste de ce à quoi il ne résiste pas. En tête, naturellement : « À dresser des listes ». Suivent des considérations, d’ordre tactile, auditif, olfactif, sensuel etc… qui ne concernent en rien une chronique dédiée à la télévision. Jusqu’à celle-ci : « À comprendre mes émotions ».

Des émotions, la télévision ne lui en procure pas souvent. Cependant, quelques-unes, et d’autant plus marquantes qu’elles surgissent dans le marais de sa zappante indolence. Deux au printemps le football mis à part, bien entendu. Un documentaire, une fiction. Et Timothée ressent qu’il existe un lien entre ces deux émissions, qu’elles ont atteint en lui un même point.

Le documentaire : du tout-venant, a priori, la vie intime d’un commissariat, cent fois vu, et presque autant de fois décevant. S’agissait, cette fois, sur France 3, du central de Roubaix. Le film dormait au frigo, tourné en 2002, et le réalisateur, Mosco Boucault, n’étant autorisé à le diffuser qu’après l’issue judiciaire des affaires croisées.

Aucune voix off, démerde-toi pour comprendre ce que tu vois et entends. À l’arrivée, Timothée se rend compte que le procédé met le téléspectateur à égalité avec les enquêteurs qu’on lui fait suivre. Une jeune fille, qui se plaint d’une tentative de viol, les emmène sur le théâtre du crime présumé, essaie d’expliquer l’enchaînement des gestes, et l’oubli aussi qu’elle en a. Dans la cour sordide d’un immeuble à l’abandon, deux jeunes femmes délabrées racontent l’incendie de l’appartement d’en face, depuis peu déserté. Etc. Les enquêteurs sont à l’écoute, aux aguets, ils ne veulent rien manquer et rester à distance en même temps. Parkings, centres commerciaux, ruelles, corons, terrains vagues, tous ces lieux leur sont familiers, et cependant du fait des délits qui y ont été commis leur sont à redécouvrir. Les faits, les êtres : sables mouvants, ils sont payés pour le savoir et sans cesse s’en souvenir.

Comme dans cette nouvelle de Cortázar dont Antonioni a tiré le film Blow-up, un minuscule détail de la photo devient central et oblige à relire d’un tout autre angle l’entier paysage. Les enquêteurs ont suivi une piste offerte, sont remontés d’un signalement à une dénonciation, ont arrêté, gardé à vue des jeunes gens dont certains connus de leurs services. Ils croient tenir, malgré ses dénégations, leur coupable. Mais soudain ils se heurtent à une impossibilité matérielle, s’aperçoivent du caractère mensonger de chacun des éléments à charge, dénonciation, signalement. Et les voilà ramenés à l’une de leurs cases départ, à cette cour sordide où d’ailleurs vient de se produire, quelques semaines après l’incendie de l’appartement déserté, le meurtre d’une vieille locataire. Les voilà devant les deux jeunes femmes à nouveau, Stéphanie, brune à la féminité pleine, Annie, qui s’habille et se coiffe comme pour répandre le doute qu’elle a sur son sexe.

Stéphanie et Annie vivent ensemble, d’amour et d’allocations minimales. Annie sue le mal-être, et même le malheur. Stéphanie, mère d’un enfant qu’on ne verra jamais, paraît moins enfoncée dans et par l’alcool, la drogue et les galères. Elles concèdent à présent que l’incendie, l’autre fois, c’était elles, pour dissimuler leur entrée par effraction dans l’appartement abandonné. Mais le meurtre, non, jamais. Puis elles admettent être montées chez la vieille, ok, mais après coup, pour récupérer le possible, jusqu’à des produits d’entretien. Puis qu’hélas, elles avaient passé l’après-midi à picoler dans la cour, et que l’idée leur était venue d’aller demander un peu d’argent à la vieille, et qu’il s’était produit une dispute, un accident. Puis… Toboggan des aveux, vertigineux. À la fin, reconstitution sur place. Annie est d’une précision brusquement volubile, elle avait allumé tel bouton, ainsi redressé l’oreiller, elle avait mis son genou droit sur le ventre de la vieille, Stéphanie les mains autour du cou. Comme ça. Mais si. L’autre essaie de ne pas tomber tout à fait, de se raccrocher à d’infimes détails, de passer pour celle qui a suivi, subi. (Les Assises, d’ailleurs, ne la condamneront pas à une aussi lourde peine que sa compagne. Peut-être au bénéfice de sa maternité, d’une homosexualité plus masquée, moins dérangeante.)

Dans Roubaix, commissariat central le trouble vient de partout. Annie et Stéphanie racontent en vacillant leur vacillement de la rêverie avinée à l’horreur, et les enquêteurs ont montré à la caméra les vacillements, et même les errements de leur réflexion, de leurs interprétations… Dans la série Engrenages (huit épisodes sur Canal +), la tension a une même source : l’incertitude des êtres. La galerie est on ne peut plus classique : policiers, magistrats, journalistes, malfrats. Mais dans chaque fruit, un ver - l’hésitation. La violence qui sourd de chaque séquence, ne tient pas à l’hémoglobine répandue (encore qu’il y en ait parfois), ou aux décibels instillés dans les répliques. L’homme ici n’est pas un robot sachant. Qu’ils visent à défendre ou à transgresser la loi, à arrondir leur fortune, à élargir leur pouvoir, à booster leur carrière, ou à respecter leur image d’eux-mêmes, les personnages, continûment contraints à l’action par l’action des autres, font des choix dont ils doutent souvent de la pertinence… Rien n’émeut plus Timothée, vient-il de comprendre, que le spectacle de la dialectique à l’œuvre.

Vertiges et engrenages Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°95 , juillet 2008.
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