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Domaine étranger Rendez-vous avec soi

juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95 | par Lucie Clair

Maître des courts récits et des plongées en abyme dans les souvenirs poignants, Tobias Wolff alterne textes en cercles vertueux et vicieux pour ramener au point intangible de l’être.

Tout choix est un renoncement, et imprime un tournant dans une vie - parfois ostensible, posé comme un panneau indicateur, tel celui de fuir une mère jusqu’à s’enrôler sous les drapeaux (« L’autre Miller »), ou le refus de mentir pour garder son travail (« Mortels »), parfois subreptice, révélé a posteriori, parce qu’il était niché au détour d’une activité anodine comme celle de peindre une clôture de jardin pour gagner le cœur d’une jeune amie que l’on chaperonne (« Deux garçons et une fille ») ou masqué par le fracas des armes (« Perte »). Il est mûri ou impulsif - mais toujours chargé d’histoire passée, et reflet de soi. Car, pour Tobias Wolff, qu’on le décide en secret, en tête à tête ou en face à face duelliste, rien d’autre que l’absolue solitude humaine - et la certitude d’une rencontre sans concession avec soi-même. S’y révèlent des parts inconnues, ensommeillées, camouflées, bâillonnées - pour le meilleur et pour le pire.
Certaines circonstances s’y prêtent avec naturel. La guerre et ses extrêmes - celle du Vietnam, que Wolff a connu à 23 ans, et dont il rapporta Dans l’armée de Pharaon, (Plon 1998), récit fort et pudique - est pour B.D. l’occasion d’hésiter à se porter volontaire à la place de Ryan, comparse grande gueule, qui ne peut s’empêcher de tenir tête au Lieutenant Dixon. Depuis son incorporation, B.D. « avait été contraint de renoncer à certaines images de lui-même qui l’avaient autrefois rempli de fierté et avaient donné à son existence un sentiment de justification sereine » (« Perte ») - en écho, Joyce attend que sa colocataire vide les lieux pour retrouver ces « moments de pure clarté d’esprit quand elle se sentait parvenir toujours un peu plus près de la vérité, tout en observant avec un détachement amusé la panique qui saisissait un condisciple en danger de perdre une illusion. » (« Migraine ») Mais, dans la vie, c’est rarement comme on croit. Et ce n’est pas un hasard si Tobias Wolff a déjà reçu a trois reprises le prix O. Henry, couronnant, dans la lignée du maître, ses récits au « surprise ending » - une autre façon de démontrer que « (d)ès que vous savez ce qui vous attend, ça n’attend plus, c’est là. Avec l’avenir, c’est comme d’ouvrir la porte à un assassin. » (« L’autre Miller »)
C’est que le choix - et finalement tout processus de décision - est une zone incertaine, de celles que l’on ne maîtrise pas autant qu’on le souhaiterait, à se croire rationnel ou sensé. Les événements se précipitent jusqu’à nouer des liens de causalité fatale entre l’attaque d’une petite fille par un chien mal attaché et un règlement de comptes mafieux (« Chaîne »). On y rencontre ses limites à aimer des êtres légèrement différents, un peu plus élégants, un peu plus désinvoltes, ou rebelles, ou calmes, entreprenants, lucides, fragiles maladroits… que soi - et ce légèrement, ce un peu, est ce qui fait justement qu’on les déteste, les abandonne, les trahit… à son insu (« Les aviateurs », « Santé mentale »).
Les quinze récits de La Nuit en question - puisés au cœur de l’enfance mouvementée de l’auteur, scandée par « la chasse aux appartements » avec sa mère entre Seattle et l’Etat de Washington (« La lueur du feu »), comme de ses expériences d’enseignant, de 1980 à 1997 aux côtés de Raymond Carver, puis à Stanford (« La vie du corps ») - offrent une vue acérée et condensée, au point de parvenir en quelques lignes à faire saisir les multiples paradoxes d’une situation. Une vue minutieuse et humoristique qui permet de remonter le temps, ou de le relativiser, tel celui qu’il faut à une balle dans le dernier récit de l’opus pour traverser le crâne d’Anders, malencontreusement saisi d’un fou-rire en plein hold-up - un temps plus lent que celui du premier souvenir qui l’ « avait étrangement excité, transporté », deux mots incongrus prononcés sur un terrain de baseball par des enfants de 8 ans, la première émotion face à leur « pure imprévisibilité, et leur musique. »
À la dénomination de « dirty realism » que lui colla, ainsi qu’à Carver et quelques autres, le critique Bill Buford dans sa revue Granta (étiquette censée englober une langue simple narrant des aventures banales), Wolff a souvent opposé un démenti mi-étonné, mi-amusé. La Nuit en question, son troisième recueil de nouvelles, paru en 1997 aux États-Unis, contribue à déconstruire toute catégorisation, tout en jouant de l’ironie - car « le monde est assez fade, non ? On parle toujours de la banalité du mal - et le mal de la banalité ? »
Fervent supporter du candidat Barak Obama au nom de la défense et du bon emploi de la langue (à ne pas confondre avec un homonyme supporter, avocat), né en 1945 en Alabama, Tobias Wolff a connu une adolescence sous la gouverne d’un beau-père abusif - restituée dans Un mauvais sujet (Plon, 1991) - et a reçu le prix PEN/Faulkner en 1985 pour son premier roman Engrenages (10/18, 1997). Autant d’écrits affûtés à la conviction que « nous ne pouvons être plus que ce que nous imaginons de nous-mêmes » - ce qui, finalement, laisse pas mal de marge…

La Nuit en question
Tobias Wolff
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Elisabeth Peellaert
Christian Bourgois, 273 pages, 25

Rendez-vous avec soi Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°95 , juillet 2008.
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