De profundis, Valse lente (précédé de) Lettre à un ami nouveau
En 1995, l’écrivain portugais José Cardoso Pires est victime d’un grave accident vasculaire cérébral. Perte soudaine de l’identité, incapacité de lire et d’écrire, moments d’aphasie. Cet état limite durera deux semaines. Ce court récit autobiographique tente de dire cette expérience d’étrangeté à soi-même et au monde. L’entreprise est difficile : comment rendre compte d’une absence ? « Soudain je me tourne vers ma femme : « Comment est-ce que tu t’appelles ? »/ Pause. « Moi ? Edite. » Nouvelle pause. « Et toi ? »// « Je crois que c’est Cardoso Pires », ai-je alors répondu. »
Quelques souvenirs fragmentaires, déconnectés émergent peu à peu : ceux d’un homme n’ayant plus de mots pour nommer les choses, se servant d’une brosse à dents comme peigne. José Cardoso Pires écrit alors sur cet autre qu’il a été : « Au début, dans une situation ou une autre, il est arrivé que nous nous confondions et devenions un seul. Situations rarissimes, dois-je ajouter, brèves lueurs de conscience. Mais en un rien de temps il s’était perdu de moi et errait à travers l’hôpital, traînant une brume. » Ces notations, volontairement dépouillées, nous touchent en ce qu’elles montrent comment facilement peut vaciller ce qui définit la personne humaine. Les dernières pages restent présentes à la mémoire. Ce sont celles du retour à la vie. Un matin, il est réveillé « en pleine clarté par des éclats de rire qui crépitaient » autour de lui. Dans sa chambre, deux malades se font des farces en attendant d’être opérés. « Et d’éclater de rire, chacun sous les draps de la peur. » José Cardoso Pires décédera en 1999, après un nouvel accident vasculaire.
De profundis, valse lente de José Cardoso Pires
Traduit du portugais par Michel Laban
Gallimard, 96 pages, 10 €