Notre présent est traversé, tissu de passé ; notre inconscient est tout entier mémoire, entrelacs de fils d’existences qui furent - nôtres ou autres. Il est des occasions, des rencontres, des périodes où se reconstruire devient pressant, où le passé frappe alors à la porte. C’est à une telle entreprise que doit s’atteler Jérôme Lafargue, discret professeur de littérature à la Sorbonne, homme tranquille et douillettement embourgeoisé, quand surgit Johann Launer, historien allemand lui-même en quête de son passé. Dans les papiers que son père, à sa mort, a laissés derrière lui se trouvait une photographie de Lafargue : quand eut lieu cette rencontre, que signifiait-elle, que peut-elle lui apprendre sur son père, sur lui-même ? Lafargue doit alors se retourner sur ses propres pas - et c’est avec infiniment de retenue, dans une écriture assourdie, mate, qui surprend d’abord par son absence d’accent, qu’Eugène Green suit son personnage, ou plutôt le laisse progressivement avancer, devant nos yeux, sur ce chemin d’abord enténébré puis s’éclaircissant. Si nous retrouvons çà et là des préoccupations propres à Green, que ses films abordaient plus directement - la musique, la religion, la civilisation européenne et son destin - c’est de biais, par le recours modéré, par exemple, au journal intime que tient Jérôme - mais il sait se retirer pour donner corps à son personnage, qui nous émeut. L’Histoire elle-même - la Seconde Guerre mondiale, le printemps de Prague ou mai 68 - loin de n’être qu’un arrière-plan, influe sur ces existences à la fois communes et tragiques, pleines de mystères et de révélations. À la fin, la reconstruction peut être une réconciliation : le passé, loin de déterminer ou d’empoisonner notre présent, peut l’animer, le vivifier - et le futur s’avance.
la reconstruction
d’eugÈne green
Actes Sud, 191 pages, 18 €
Domaine français Reconstruction
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
Thierry Cecille
Un livre
Reconstruction
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°96
, septembre 2008.