Samuele Stochino a réellement existé. Pour s’en détacher, Marcello Fois l’écrit avec deux « c », s’ouvrant ainsi un espace de liberté. Stochino a été l’ennemi public numéro un en Sardaigne. On lui reproche carnages, tueries et vendetta. Le régime fasciste l’a traqué inlassablement, proposant pour sa capture l’une des plus importantes récompenses jamais offertes jusqu’alors (l’équivalent de 500 000 € d’aujourd’hui). Marcello Fois s’empare de cette figure légendaire et dresse, à travers son histoire romancée, un portrait des Sardes en ce début de XXe siècle. L’écrivain couche ainsi sur le papier un récit essentiellement oral dont il comble les blancs, tout en gardant un style qui rappelle admirablement les récits de veillées et captive de bout en bout. Tout commence par une nuit de lune et par un verre d’eau refusé à un père et son enfant, qui voyagent de nuit et à pied. Le petit Samuele gardera toute sa vie le souvenir de cette humiliation : « quand on commence à payer, il faut tout payer ». Un destin est scellé pour ce garçon dont on dit qu’il « a le cœur anguleux comme celui des assassins ». Autour de lui, tout est signe, tout s’interprète. La religion et la superstition se mêlent pour lire dans le moindre souffle de vent l’annonce d’un malheur. Aux coups de la vie quotidienne s’ajoutent les drames de la grande Histoire (la guerre italo-turque de 1911, la Première Guerre mondiale, la montée du fascisme). Stocchino se débat. Sur son île, il porte le poids de son parcours personnel et ploie sous des générations de bergers opprimés. Il est « difficile de donner un sens à tant de souffrance millénaire. Et les mots manquent souvent, mais il reste au dedans une mémoire du vide ». Par ce récit épique, Marcello Fois raconte ce que l’Histoire ne peut dire. Pour lui, « les Sardes ont la capacité d’être extrêmement honnêtes et délinquants tout ensemble, exaltés et déprimés, tristes et heureux ». Samuele Stocchino concentre ces différents états qu’il vit de manière simultanée, car " c’est ainsi qu’on décrit les histoires édi
mémoire du vide
de marcello fois
Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro
Seuil, 272 pages, 18,50 €
Domaine étranger Mémoire du vide
octobre 2008 | Le Matricule des Anges n°97
| par
Franck Mannoni
Un livre
Mémoire du vide
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°97
, octobre 2008.